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C’est peut-être de la demande que viendra le redressement des cotations du blé.

Blé : sur quoi ouvrir l’œil ?

Les prix du blé peuvent-ils retrouver une franche dynamique haussière (1) ? Au-delà d’une offre abondante et à des stocks de fin de campagne qui devraient être élevés en Russie et dans l’UE, c’est bien un manque de demande qui laisse les cotations au tapis. Alors, les importateurs peuvent-ils se réveiller dans les prochains mois ?

L’Afrique du Nord est la plus grande zone importatrice de blé et pour la troisième année consécutive subit une sécheresse qui devrait entraîner une hausse des besoins à l’importation de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie en 2024/2025.  Cette saison, les importations de cette région du monde ont déjà atteint un record de 7 ans. Malheureusement, la faiblesse des devises locales de nombreux pays importateurs renchérit les achats et de très nombreux acheteurs manquent cruellement d’argent face aux taux d’intérêt actuels. C’est ainsi le cas de l’Égypte, dont la situation des récoltes est moins préoccupante que celle de ses finances. Les attaques des Houthis en mer Rouge ont entraîné une modification des routes maritimes empruntées par les navires. Or le canal de Suez, en partie délaissé, est l’une des principales rentrées en devises des Égyptiens. Cette manne a diminué de 40/50 % depuis le début de l’année. Le pays demande aujourd’hui des crédits à 270 jours auprès de ses fournisseurs. Vendre du blé, c’est souvent prêter l’argent pour l’acheter ou proposer des « arrangements ». Cela explique le succès de la Russie en Algérie mais aussi la réactivation par la France de financements dans le cas de la Tunisie. La signature en cours d’un partenariat portant sur 7,4 milliards d’euros entre l’UE et l’Égypte profitera-t-il aux exportateurs européens de blé ? 

Puiser dans les stocks

Ainsi, paradoxalement, nombre de pays importateurs tapent actuellement dans leurs stocks plutôt que d’acheter sur le marché mondial aux prix pourtant attractifs… 

C’est ce que montre le dernier rapport de l’USDA sur la ligne du bilan consacrée à un groupe de 28 importateurs(2). On y voit que les stocks qui s’étaient en partie reconstitués en 2022/2023, fondent comme neige au soleil et devraient avoisiner les 168 Mt. Cela entraîne une chute du ratio stocks/consommation à 51 % contre 64 % en 2019/2020. La situation est d’autant plus intenable à terme, dans ces zones à forte croissance démographique, que le marché du riz s’est énormément tendu(3) et y fait reculer la consommation.  

Impact d’El Nino

S’ajoute à cela des problèmes climatiques qui peuvent aussi impacter la partie des céréales consommée en alimentation animale. C’est le cas de l’Indonésie, où El Nino a fait chuter les rendements de maïs, et va contraindre le pays à importer du blé fourrager (qui coûte deux fois moins cher que le maïs local). 

La Chine mise sur sa sécurité alimentaire

En ce qui concerne la Chine, devenue premier importateur de blé avec 13 Mt en 2022/2023, les choses sont plus opaques. Différents bilans s’accordent sur un recul des importations de 1-2 Mt en 2023/2024, arguant d’une baisse de la demande en alimentation animale. Il est vrai que la consommation de viande porcine est atone dans le pays, et que le gouvernement a mis en place un système de régulation du cheptel truies. Cependant, l’État vient d’augmenter le budget dédié au stockage des céréales et des huiles pour garantir sa sécurité alimentaire. Ces derniers mois, le pays est resté très actif sur les marchés mondiaux du maïs, blé, orge, sorgho et riz. Pour rappel, ses achats de céréales passés de 35 Mt à 65 Mt de 2020 à 2021. Après une chute à 52 Mt en 2022, ils ont rebondi à 59 Mt en 2023. À surveiller donc, d’autant plus que la France y trouve un débouché, offrant certes peu de visibilité mais qui a « sauvé » le poste export plusieurs fois face à la défection de certains de nos clients historiques.

Vous l’avez compris, c’est peut-être de la demande que viendra le redressement des cotations du blé. L’évolution des taux d’intérêt des banques centrales (FED et BCE), en impactant les taux de change et les capacités de crédits, sont à surveiller. Tout porte à croire que de ce côté-là, les choses iront moins vite que certains l’espéraient. Gardons bien sûr aussi un œil sur la météo dans les pays importateurs et sur les échéances électorales à venir en Inde. 

Nombre d’importateurs tapent dans leurs stocks

Patricia Le Cadre – Cereopa

Le cas particulier de l’Inde

Enfin, évoquons un pays qui ne figure pas dans la colonne « importateurs » mais qui pourrait y faire une entrée fracassante en 2024/2025. L’Inde se situe plutôt dans la colonne « exportateur » lorsque les prix mondiaux sont rémunérateurs. Les volumes vendus n’ont jamais dépassé 8 Mt, soit 7 % de la production. Le reste du temps, les Indiens stockent leur blé. Cette saison, la météo ne semble pas très clémente, et pourrait entraîner une ponction dans les stocks, supérieure à ce que souhaiterait le gouvernement. Ces derniers sont attendus à 9 Mt en juin 2024, contre 28 Mt en juin 2021. C’est la pire performance depuis 2007/2008 et un chiffre ridicule face à une consommation de 111 Mt. Pour rappel, en 2016/2017, les stocks étaient tombés à 10 Mt et le pays avait importé 6 Mt (d’Australie et d’Ukraine). Il faudra donc surveiller l’évolution de la météo et l’évolution des droits de douane actuellement élevés qui limitent les importations. Près d’un milliard d’Indiens se rendront aux urnes à partir du 19 avril (élections législatives) et il est peu probable que le gouvernement réduise les droits d’entrée avant cette échéance, par crainte de provoquer une hausse des prix mondiaux qui lui serait défavorable.

(1) Suite de l’article paru dans le Paysan Breton du 15 mars 2024.

(2) Bangladesh, Brésil, Chine, Corée du Sud, Japon, Nigeria, Mexique, Turquie, Égypte, Algérie, Libye, Maroc, Tunisie, Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande, Vietnam, Liban, Iraq, Iran, Israël, Jordanie, Koweït, Arabie Saoudite, Yémen, EUA, Oman

(3) Voir article du Paysan Breton du 15 décembre 2023


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