Emilie Renard a su allier modernité et technique ancestrale dans sa longère de Plouguernével : elle file la laine de toisons de toute la France dans sa micro-filature.
Il faut suivre le fil du chemin sinueux vallonné et boisé pour arriver à la sympathique longère où dorment diverses machines dignes d’une petite industrie du textile, indispensables à l’activité d’Émilie Renard. Cette mécanique bien huilée sert à filer toutes les toisons d’animaux laineux qui peuvent passer par les mains expertes d’Émilie pour devenir pelote. Installée dans le village de Kerléo, en Plouguernével (22), la fileuse transforme ces matières brutes en laine cardée, feutrée ou filée. En France, il n’existe que 3 micro-filatures qui font le bonheur des propriétaires particuliers ou professionnels d’animaux en quête d’artisans fileurs capables de travailler avec des petites quantités de laine. Car la force de cet atelier est d’accepter de valoriser les toisons de nombreux possesseurs d’animaux au troupeau comptabilisant peu de têtes.
[caption id= »attachment_49222″ align= »aligncenter » width= »720″] Les fils sont présentés en pelotes ou en écheveaux.[/caption]
Du lapin au lama
Les tisserands, feutriers ou teinturiers friands de belles marchandises trouvent dans les compétences d’Émilie de quoi confectionner leurs produits. Les toisons en provenance de toute la France, une fois débarrassées de leurs débris végétaux et de leurs fausses coupes (fibres trop courtes), passent en machine à laver, pour les dégraisser et en retirer le suint.
La Costarmoricaine travaille des laines « de mouton, de lapin angora, d’alpaga, de chèvre mohair ou encore de lama ». Une fois séchée, la fibre est ouverte grâce à un loup ouvreur qui l’effiloche, puis deux passages dans une cardeuse éliminent les derniers débris végétaux « et le jarre, qui sont les poils blancs qui piquent ». Ensuite, direction l’étireuse qui produira des rubans semi-peignés. Puis vient la fileuse qui, suivant les réglages, donnera un fil solitaire plus ou moins épais, avec une torsion de la fibre. « Ces fils solitaires sont enfin assemblés, avec un maximum de 4 fils. Des mélanges peuvent être effectués, avec par exemple des laines d’alpaga et de lapin ». Une fois mis en cône, le fil est repassé dans un tube injectant de la vapeur pour équilibrer sa tension. « Il ne bougera plus », assure Émilie Renard.
Cette dizaine d’étapes avec à chaque fois des machines spécifiques débarrasse les toisons de leurs impuretés. Ainsi, sur « une toison d’un mouton d’Ouessant de 1 à 1,5 kg ou d’un mouton traditionnel de 2,5 kg, le fil pèsera la moitié de cette matière première, perdue en suint, jarre et débris ». L’alpaga présente un meilleur rendement en fil, seulement 30 % du poids total de la toison est retiré. Au bout de la chaîne, des fils présentés en pelote ou en écheveau raviront les experts du tricotage ou du tissage.
[caption id= »attachment_49223″ align= »aligncenter » width= »720″] L’ancienne longère située en Centre-Bretagne a été rénovée pour accueillir l’atelier de fabrication de la micro-filature.[/caption]
Une famille impliquée
L’activité démarrée en 2019 a pris naissance « à l’aide d’un rouet, offert par ma famille ». De fil en aiguille, et à partir de cet apprentissage manuel, a mûri un projet d’investissement dans des machines canadiennes, rendu possible par un financement participatif : plus de 270 financeurs privés et composés de tricoteuses, du cercle d’amis et de personnes intéressées par le projet mettent la main à la poche. Émilie Renard a même été surprise par la provenance de ces dons, d’origines inconnues, réalisés par des tricoteuses ayant de l’influence sur la toile par leur blog. Ces financements alliés à des coups de main et des conseils assurent aujourd’hui la réussite de la micro-filature. Au démarrage de l’activité, les achats indispensables aux process de fabrication ont été complétés par des outils de fabrication maison, capables de réaliser un premier nettoyage des toisons.
Pour transmettre sa passion, Émilie Renard organise des stages de filages « avec un grand esprit d’ouverture ». Car si la fileuse a la fibre pour ce métier vieux comme le monde utilisant désormais des technologies modernes, la transmission de sa passion aux générations futures est une manière de garder le fil de la tradition.
Le filage et le tissage dans l’histoire
Les premières traces de filage dateraient d’il y a 20 000 ans, avec des techniques rudimentaires de roulage de la fibre pour produire un fil. L’apparition d’outils comme le bâton à filer, la fusaïole puis le fuseau et le rouet accélèrent la production de fil. Cette maîtrise de la production a laissé courir l’imagination des hommes, comme l’histoire de la belle au bois dormant qui se pique à un fuseau pour tomber dans un profond sommeil. Dans la mythologie grecque, Athéna ne supporta pas qu’une mortelle réalise une toile plus belle que la sienne, et condamna Arachné a tissé toute sa vie. Cette dernière devient mère de toutes les araignées, fileuses et tisseuses de nos maisons.