fumier-manifestation-eleveur-breton-crise-agricole-rond-point-grande-surface-gms-chambre-agriculture-colere - Illustration Le fumier de la détresse

Le fumier de la détresse

Jusqu’où ? Jusque quand ? Pour quels résultats ? Les manifestations agricoles s’étirent en longueur en Bretagne. Expression d’un désarroi présent et d’un futur qui semble absent.

Du fumier dans les ronds-points. Du fumier à la porte des grandes surfaces. Et maintenant du fumier sur la Chambre d’agriculture. Ce déversement de matière nauséabonde qui porte en lui, à la fois, la pourriture et la richesse d’une terre fumée, constitue un symbole fort dans les manifestations 2016. Au cœur de cet hiver à l’horizon bouché, les éleveurs ont cette profonde impression d’être « comme Job sur son fumier », expression biblique qui fait référence à la souffrance du héros éponyme de l’Ancien Testament. Dans notre langage contemporain, l’expression signifie « être réduit à un état excessif de misère et de souffrance », comme le mentionnent les dictionnaires qui aussitôt proposent une métaphore porteuse, elle, d’espoir: « Tirer quelqu’un du fumier ». Et c’est bien cela qu’attendent les agriculteurs. Dans ce contexte de grande détresse, l’appel des évêques de Bretagne et des Pays de la Loire, lancé le 9 février dernier, n’est pas anachronique.

« Les esclaves des temps modernes »

L’Homme est bien au cœur de ce que vit l’agriculture en ce moment. Plus particulièrement les jeunes. « Les agriculteurs et leur famille ont le droit de vivre du travail de leurs mains », titre la lettre ouverte publiée par les 10 évêques de l’Ouest qui rappellent leur proximité avec les agriculteurs. « Nous invitons tous les décideurs à mettre en œuvre “une croissance par la sobriété heureuse” selon le pape François (…). Qu’aucun agriculteur ne se sente plus jamais parmi “les esclaves des temps modernes” sacrifiés aux idoles de la productivité et de la concurrence internationale ».

Les manifestations paysannes ne sont hélas pas une création du XXIe siècle : la Grande Jacquerie de 1358 ; la révolte du papier timbré en 1561, remise sur le devant de la scène par le collectif des Bonnets Rouges en 2013 ; les révoltes paysannes de 1675 en Basse-Bretagne qui annoncent la grande révolte paysanne de 1789. À chaque fois sur cette période qui court du Moyen Âge à la Révolution, les paysans prennent les fourches pour dénoncer l’abus et la pression fiscale exercée par les seigneurs qui usent de leur plein pouvoir.

À chaque fois le même cocktail explosif

Bien plus près de nous, les Trente Glorieuses n’ont pas été exemptes de mouvements de contestation, souvent empreints d’une grande violence d’ailleurs : 1961, prise de la sous-préfecture de Morlaix par les légumiers ; 1966-1967, émeutes de Redon et Quimper avec des masses de 15 à 20 000 paysans réunis à chaque fois ; 1972, l’interminable grève du lait qui dure 2 mois, etc. À chaque fois, le même cocktail explosif pousse les agriculteurs à sortir de leur ferme avec les tracteurs qui ont remplacé les fourches menaçantes d’antan : surproduction, effondrement des cours, difficulté à s’adapter à la modernisation agricole. Dans les années 80, l’Europe et la politique agricole commune deviennent la cible des manifestants : taxe de coresponsabilité, montants compensatoires, quotas laitiers en 1984. Puis, dans les années 90, le Gatt, l’ancêtre de l’OMC, pousse cette fois les agriculteurs à sortir des fermes pour dénoncer les distorsions de concurrence qui se profilent.

Au travers des siècles, la résistance des paysans ne s’émousse pas. Eux qui croient en leur métier, eux qui le vivent avec passion ne veulent pas abdiquer pour ne pas disparaître. Se soulever contre le pouvoir central, contre l’absurdité de la toute-puissance, contre les règles fiscales incompréhensibles, contre l’administration, contre la concurrence abusive, bref contre l’inégalité constitue le trait d’union de détresse entre toutes ces époques. Avec peut-être pour la première fois, en 2016, une prise de conscience que, ni la profession, ni l’État, ni même Bruxelles, n’a plus la main pour manœuvrer le gouvernail. Tout semble avoir basculé dans les mains des forces obscures de la finance et de la spéculation dont les intentions se situent aux antipodes des valeurs universelles de paix et d’entente entre les peuples invoquées pour promouvoir le grand marché mondial. Et l’avertissement de 2008 ne semble avoir rien changé.

Construire autour d’un projet de société

Sur les barricades, nombreux sont les agriculteurs qui regrettent l’absence de grand projet sociétal, qui regrettent la carence de guide charismatique qui leur montrerait la voie à suivre. Si les agriculteurs veulent bien sûr du prix, ils veulent, à l’image de la société tout entière, un projet avec de vraies valeurs qui rende toute la noblesse à leur métier nourricier. « Il n’est pas de bon vent pour qui ne connaît pas son port », disait Sénèque, contemporain de Jésus-Christ. « Ce n’est que quand il fait nuit que les étoiles brillent », lui répond en écho, quelque 2000 ans plus tard, le visionnaire Winston Churchill. Didier Le Du

Bernard de la Morinière, Agriculteur à Saint-Brieuc-des-Iffs (35)

Une centaine de personnes participait à la session d’études portant sur l’encyclique « Laudato Si » du pape François et sur l’écologie, à Créhen (22). Cette journée de réflexion a été l’occasion pour les évêques d’apporter leur soutien aux agriculteurs. J’étais le seul représentant la profession et c’est à ce titre que je relaie les messages forts qui ont été délivrés. Entre autres l’insistance des évêques sur la place centrale de l’Homme. Leur demande de renouer avec l’harmonie et l’équilibre garants d’une société juste. Les évêques sont également convaincus que les hommes ont la mission de faire fructifier la création de manière raisonnable et audacieuse.


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