« Les défis à relever dans le monde agricole sont nombreux et en augmentation », introduit Luc Vanoirbeek, secrétaire général de la fédération des coopératives horticoles belges, lors d’une table ronde organisée pour les 60 ans du Cerafel. « Aujourd’hui, les prix ne reflètent pas les efforts fournis pour améliorer la qualité des produits ; les cahiers des charges sont trop nombreux et attachent les producteurs à leur bureau. » À cette liste s’ajoutent le changement climatique, dont les dégâts coûtent chaque année 28 milliards d’euros à l’Europe, le renouvellement des générations ou encore une incertitude géopolitique persistante. « Le budget agricole va sûrement encore diminuer dans la prochaine Pac », ajoute Luc Vanoirbeek. « De plus, l’organisation commune des marchés (OCM) risque d’être menacée. » Créée en 1962 dans le secteur des fruits et légumes et enrichie des programmes opérationnels cofinancés par l’UE depuis 1997 via les OP et les AOP, elle a pourtant prouvé son efficacité au cours des 30 dernières années, notamment en matière de résilience des producteurs et de la filière.
La suite de l’histoire s’écrira dans le collectif
Le Cerafel est pionnier
Crée en 1965, le Cerafel est la première association d’organisations de producteurs (AOP) de fruits et légumes en France. « Notre objectif premier est de valoriser et de défendre les revenus des producteurs », affirme Marc Kerangueven, président de la structure. Depuis 60 ans, ce modèle collectif permet de mutualiser les compétences et les investissements, d’anticiper les crises, de répartir les risques et d’innover. « L’organisation bretonne de sélection (OBS) travaille constamment sur la création de nouvelles variétés au service des producteurs », explique Maïwenn Le Pierrès, directrice du Cerafel. « Aujourd’hui, l’un des critères essentiels est l’enracinement profond des plants, pour résister aux sécheresses de plus en plus fréquentes. » L’AOP dispose aussi de plusieurs outils pour réguler le marché et maximiser le revenu des producteurs : régulation de l’offre, ventes contractualisées, transformation, télématique… « En cas de très bonne année en chou-fleur, par exemple, nous avons des accords avec des surgélateurs pour gérer les excès de volume et éviter des prix non-rémunérateurs », souligne Marc Kerangueven.
Un modèle qui inspire
En Bretagne, le modèle du Cerafel a inspiré d’autres filières, notamment le lait et le porc. Poplait a vu le jour en 2015 à la suite de la crise laitière de 2009, et l’AOP Porc Grand Ouest en 2021. La structuration de la filière porcine se rapproche d’ailleurs de celle des fruits et légumes, où le prix est défini par un cadran.
« La création d’AOP n’est pas un long fleuve tranquille », admet Michel Bloc’h, président de l’UGPVB. « On fait parfois peur à l’aval, mais l’Europe a compris l’intérêt de ce fonctionnement collectif. Grâce à lui, on est moins vulnérables face aux pressions économiques et règlementaires. » Au sein de la filière porcine, les OP jouent également un rôle clé dans la modernisation des élevages, « indispensable pour répondre aux attentes en matière d’environnement, d’énergie et de bien-être animal. »
Côté lait, l’organisation collective doit permettre, selon Marie-Alix Momont, directrice de Poplait, aux jeunes éleveurs de facturer leur production et se débarrasser de la paye de lait dont ils ne veulent plus. « Les OP servent aussi aux industriels, notamment en ce qui concerne les dynamiques RSE », ajoute-elle.
La force du collectif
« La Bretagne est une grande puissance agricole qui tire sa force de son organisation collective », conclut Arnaud Lécuyer, vice-président en charge de l’agriculture de la région Bretagne. « Je suis convaincu que la suite de l’histoire s’écrira dans le collectif, qui permet à la fois de prendre des risques et de développer la grande diversité des cultures bretonnes. »
Alexis Jamet
La création des AOP doit venir des producteurs
Opinion – Julien Denormandie – Ancien ministre de l’agriculture
La France compte seulement 600 organisations de producteurs et 25 associations de producteurs. Je crois personnellement beaucoup à la contractualisation et je pense que le modèle du Cerafel doit se dupliquer. Cependant, pour cela, l’initiative doit venir du terrain. L’État ou la Région ne peut pas le faire à la place des producteurs. Le marché unique fait la force de l’Europe, et l’OCM doit y être intégrée. Enfin, concernant la Pac, il ne faut pas oublier que le budget pour l’agriculture proposé par l’Europe était loin d’être à la hauteur des attentes, et c’est la France qui a renversé la table