Pouldreuzic (29)
En 2008, Anne Roche et Sébastien Rétoret posent leurs valises à Pouldreuzic, dans le Finistère. Anciens gérants de centres équestres, ils décident de monter une pension pour chevaux sur une ancienne exploitation maraîchère. Ils y pratiquent également l’équitation éthologique.« Au moment de notre installation, nous avions besoin d’une activité secondaire car notre pension est un secteur de niche », lance Anne Roche. C’est un reportage télévisé sur le safran qui agit alors comme déclencheur. « J’ai découvert que la France était le plus gros producteur de safran au XIXe siècle », raconte la productrice. « Il était aussi très populaire en Angleterre et en Écosse. » Une idée commence alors à germer dans l’esprit de l’agricultrice. Si l’épice rouge a trouvé sa place outre-Manche, alors le terroir breton peut également être un bon candidat. D’autant que sa culture présente de nombreux avantages. Avec une récolte par an, en octobre, les pics de travail sont concentrés. De plus, la surface requise est faible car les plantations sont denses. Enfin, l’intérêt économique n’est pas négligeable, avec un prix au kg d’environ 40 000 euros.
Il faut 180 à 200 fleurs pour faire un gramme d’épice
600 grammes par an
Peu après leur arrivée à Pouldreuzic, le couple plante cent bulbes de crocus sativus, dont le pistil est utilisé pour produire la précieuse épice. Pendant trois ans, ils gèrent leur production de manière « complètement autodidacte et à titre d’essai. » Satisfaits des premiers résultats, ils passent à la vitesse supérieure en 2011, investissant dans 15 000 bulbes qu’ils implantent sur 1 000 m². La commercialisation commence et la marque Esprit Safran voit le jour.
Aujourd’hui, la culture de crocus à safran s’étend sur 5 000 m² répartis en quatre parcelles. « Nous installons nos safranières sur des parcelles pâturées au préalable par les chevaux car le crocus sativus est très gourmand en éléments nutritifs », précise Anne Roche. « Les bulbes restent en terre entre 5 à 7 ans, puis la parcelle revient en herbe. » La production annuelle moyenne des 15 dernières années est d’environ 600 grammes. « Il faut 180 à 200 fleurs pour faire un gramme d’épice », ajoute la Finistérienne.
Un réveil à l’automne
En dormance pendant le printemps, le bulbe du crocus sativus se réveille en septembre. La floraison de la plante commence en octobre et dure entre un mois et un mois et demi en Bretagne. « En hiver, le bulbe grossit et se multiplie », précise Anne Roche. « C’est ainsi que la plante se reproduit car elle ne produit aucune graine. Au bout de 5 à 6 ans, ce même bulbe est épuisé. » Les plus gros bulbes peuvent fleurir jusqu’à 8 fois par récolte. « Toutes les interventions sur les parcelles se font donc au printemps au moment de la dormance. C’est là que nous désherbons, reformons les billons, plantons ou démultiplions les bulbes. » Pour éviter la dégénérescence, plusieurs souches sont utilisées. « Mais nous sommes aussi préoccupés par le changement climatique. Les hivers sont de plus en plus doux et les fortes amplitudes de température dont le crocus a besoin pour fleurir se font rares. »
Recommencer tous les jours
« À partir des premières floraisons au mois d’octobre, nous passons tous les matins dans les parcelles pour cueillir les fleurs à la main », déclare la productrice. « Nous commençons tôt, car toutes les étapes de la transformation doivent être réalisées le même jour. En effet, la fleur ne vit que 24 heures. » Après la cueillette, l’émondage consiste à extraire les pistils de chaque fleur. Cette opération minutieuse se fait avec des petits ciseaux de couture. Un safranier expérimenté émonde en moyenne 350 fleurs par heure. « Nous gardons uniquement la partie rouge du pistil », précise Anne Roche. « La partie jaune peut amener de l’amertume. » Le séchage dans des fours électriques à basse température (40°C pendant 2,5 heures) permet ensuite de développer le safranal, molécule qui donne son arôme au safran. Une fois séché, le safran est laissé à maturer dans l’obscurité, dans des pots hermétiques, pendant un à deux mois. Il est enfin commercialisé à partir du mois de janvier suivant la récolte. « Certaines années, nous avions tellement de fleurs par jour que nous ne dormions presque plus », se souvient l’agricultrice. « Nous avons dû faire appel à la famille et aux amis en renfort. » Alexis Jamet
Pour en savoir plus : Contact au 02 98 54 35 52 ou au 06 61 59 01 09 ou à l’adresse mail : contact@esprit-safran-et-cie.com


Arômes et médecine
L’essentiel de la vente se fait en direct mais Anne Roche et Sébastien Rétoret fournissent également des transformateurs et des restaurateurs. En plus du safran pur, ils proposent des tartinables, du miel, du sirop, du vinaigre de cidre ou encore de l’extrait de fleurs fraîches, apprécié pour ses vertus médicinales. « Le crocus sativus a des effets anti-dépresseurs, anti-oxydants ou encore antispasmodiques. C’est aussi un tonique digestif et il peut aider à combattre le cholestérol. C’était d’ailleurs une plante vendue dans toutes les pharmacies au XIXe siècle. »