1er juillet 1954 : Au temps de la viande sans ticket

Dans les archives de Paysan Breton

-Dépêchez-vous Pierre, venez bien vite, la vache à Philomène va crever. Apportez le trocart. Je laisse là mon travail, je passe à la maison en courant et je me dirige vers un champ à quelques centaines de mètres seulement de la ferme, là où j’ai deviné le drame. Trop tard, car la vache est tombée. À tout hasard, je lui enfonce le trocart dans la panse, mais c’est bien fini. Philomène fond en larmes. Sa vache, sa seule et unique vache, météorisée en moins de vingt minutes.

On fait alors appel à un boucher qui la saigne aussitôt et la dépouille en laissant le cuir adhérent sur toute la tête. La viande est belle, on verra comment elle se comportera. Le lendemain matin, on constate que tout est parfait. La viande s’est maintenue. Pourra-t-on dire aux voisins de venir chercher un morceau comme cela s’est fait depuis toujours ? Consultons le vétérinaire. Il arrive et est favorablement impressionné par l’état de la bête. S’il avait eu le pouvoir de donner l’autorisation de débiter, il l’aurait très probablement accordée. Il faut cependant envoyer un morceau à analyser au laboratoire. Ce qui est fait. Le lendemain on avertit Philomène qu’elle aura à livrer sa bête… à l’équarrisseur.

Si j’avais perdu l’une de mes dix ruminantes, je crois que j’aurais mieux encaissé le coup que je n’ai encaissé celui qui a assommé ma voisine, une brave femme, veuve, que je sais démunie de moyens pour le remplacement de sa vache. Si celle-ci était morte de pneumonie, de congestion ou autre, cela m’aurait moins impressionné.

La population a le droit d’être préservée contre les charognards qui seraient tentés de lui offrir de la marchandise avariée. Il est juste qu’il y ait à ce sujet une législation et une réglementation suffisante pour atteindre ce but.
Peut-être, dans le cas présent, la sanction était-elle justifiée ? Je n’ai aucune qualité pour contester la chose et je pense que Philomène n’a tout simplement pas eu de chance.

Cependant je me pose la question de savoir si ces mesures ne sont pas trop strictes en elles-mêmes. Il semble que la législation en matière ne soit pas appliquée dans tous les départements français avec la même rigueur. Dans certaines régions il n’est pas devenu impossible d’utiliser la viande de toute bête abattue par météorisation. Cela dépend des cas. Ceux-ci sont soumis à l’appréciation du vétérinaire. Dans d’autres régions, il est devenu de règle commune que tout animal périssant de cette façon soit quasi-automatiquement voué à l’équarrissage.

Dans ces conditions, la législation est trop imprécise et alors il faut la clarifier. Ou bien elle est suffisamment précise et alors nous sommes surpris qu’elle puisse être interprétée avec plus ou moins de rigueur ou de largesse. Ce que nous demandons, nous les exploitants, et je pense que tous partageront mon opinion, c’est que toutes les Philomène de France soient traitées sur un pied d’égalité quel que soit le village où elles habitent.

Pierre Malitourne


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