batiment-lait - Illustration Le lait au bord du raz-de-marée

Le lait au bord du raz-de-marée

Une « situation très excédentaire » responsable d’une « conjoncture déprimée ». Les économistes de la filière laitière annoncent des mois difficiles sur le marché laitier.

On peut désigner l’embargo russe comme responsable de la tempête qui souffle un vent mauvais sur les étables laitières françaises. Mais, pour l’économiste de l’Institut de l’élevage, Gérard You, il ne s’agit que d’un facteur de déstabilisation secondaire dans un contexte de forte surproduction mondiale.

La bulle laitière s’est dégonflée

« L’offre des trois principaux bassins laitiers, à savoir l’Union européenne, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis a augmenté de 12 millions de tonnes, soit l’équivalent de la moitié de la production française. Dans le même temps, les exportations n’ont progressé que de 1,5 million de tonnes », met en balance l’économiste qui parle d’une économie chinoise en trompe-l’œil, comparable à une bulle laitière qui s’est dégonflée. « Et difficile d’établir des pronostics sur l’évolution de la situation économique et politique de cette grande puissance ». Certes, des importateurs « périphériques » profitent d’une baisse des prix sur le marché international pour remplir leur panier (Asie, Afrique). Mais pas de quoi redonner du tonus au marché.

Europe grisée par la fin des quotas

« Le déséquilibre du marché est surtout imputable à l’Union européenne », poursuit l’économiste qui désigne l’anticipation par certains pays d’Europe du Nord, dès la mi-2014, de la suppression des quotas : + 7 millions de tonnes de lait dans l’UE sur 2014. Le rythme de croissance est de 1 à 1,2 % sur 2015, soit entre 1,5 à 3 millions de tonnes pour la fin de l’année. Avec des records impressionnants de collecte comme l’évoque Benoît Rouyer, économiste au Cniel, qui parle d’une croissance de 3,5 % en Pologne sur le second trimestre 2015, de 6 % aux Pays-Bas et de 12 % en Irlande.

De la poudre à l’intervention

Les cotations de la poudre de lait écrémé atteignent un niveau très bas, autour de 1 700 €/t en UE sur le marché spot. Soit à un niveau en dessous du prix d’intervention ce qui a déclenché des livraisons de poudre à l’intervention en juillet ; situation que la filière n’avait pas connue depuis 2009. Le beurre résiste mieux avec un marché spot à 2 800 €/t et des achats qui se font actuellement au prix de 3 000 €/t.

« En fait, le dynamisme laitier européen a été largement supérieur à celui qu’on attendait », complète Gérard You. Exception dans ce concert de forte production, la France a reculé de 0,9 % sur le premier semestre. « Depuis juillet, la production a même reculé de 1,5 à 2 % chaque semaine en raison des fortes chaleurs », précise l’économiste du Cniel.
Les USA ont également donné un coup d’accélérateur à leur production. À la différence qu’une partie conséquente de ce lait en plus a été écoulée à l’intérieur des frontières par un soutien de l’activité économique favorable au pouvoir d’achat des ménages. Un dynamisme de la consommation que l’on ne retrouve pas en Europe, figée dans une croissance atone. Benoît Rouyer parle de « situation difficile sur le marché de détail » français, avec des prix en magasin qui ont baissé ces derniers mois, sauf le beurre qui se redresse depuis l’été après une baisse régulière depuis un an.

Contraints de produire après avoir investi

Le plus inquiétant réside dans le fait que les prix sont restés à un bas niveau cet été alors que cette saison est naturellement une période de creux de production des 5 exportateurs majeurs (Europe, USA, Nouvelle-Zélande, Australie, Argentine). Aujourd’hui, la Nouvelle-Zélande amorce sa saison de production avec le printemps qui démarre dans l’hémisphère sud. Autant d’éléments qui conduisent Gérard You à ne pas voir de « signal positif du côté de l’offre pour les six mois à venir. Sauf événement imprévu » qui pourrait frapper une des grandes zones de production (climatique, sanitaire, etc.).

À l’image de ce que vit la production porcine depuis une trentaine d’années, la capacité de résistance financière des éleveurs va être déterminante. « Il peut y avoir des faillites », craint l’économiste qui n’entrevoit pas de reflux de production chez les éleveurs européens qui ont lourdement investi : ces derniers étant contraints de générer du chiffre d’affaires pour écraser les charges. Un élément pourrait tout de même peser favorablement : le prix des matières premières est en baisse comme le révèle l’indice Ipampa calculé par l’Institut de l’élevage, ce qui devrait avoir un effet favorable sur les coûts de production. « De même, les pays qui avaient démarré tard la course à la production risquent de se replier : c’est le cas dans les pays du sud et de l’est de l’Europe ». Didier Le Du

L’avis de Serge Le Doaré, administrateur FNPL (29)

Le nouveau commissaire européen refuse de reconnaître que la filière laitière vit une crise. Il estime que c’est conjoncturel. Pas pour les éleveurs qui vont devoir composer avec une baisse conséquente du prix du lait. Dès la semaine dernière un grand groupe a donné la tendance en annonçant 312 €/1 000 L pour le lait d’août. On est bien loin de l’accord du 24 juillet à 340 €/1 000 L. Cette baisse du prix du lait qui intervient dans un contexte de hausse des résultats des grandes entreprises laitières est vécue comme une véritable provocation par les producteurs. À l’opposé, des GMS ont contacté des fournisseurs dès le lendemain des accords pour proposer de nouveaux tarifs. En privilégiant les produits français, la restauration hors foyer (RHF) pourrait avoir un effet à moyen terme sur les prix.


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