Première huile produite, consommée et exportée au monde depuis 2005, l’huile de palme est généralement la moins chère sur le marché. Or actuellement, son prix dépasse celui de l’huile de soja de 200 $/t contre une décote moyenne annuelle sur les 10 dernières années fluctuant entre 51 $ (en 2020) et 194 $ (en 2022). Si cette situation ne devrait pas perdurer au-delà de plusieurs mois, elle souligne une concurrence d’usage qui ne fera pourtant que s’accroître.
-2,8 Mt produites en 2024 en Indonésie
Essentiellement cultivée en Indonésie et en Malaisie, l’huile de palme a essuyé quelques tempêtes (pas toutes météorologiques) ces dernières années. Honnie par les ONG pour son rôle dans la déforestation en Asie (souvenez-vous de la publicité détournée et sanglante pour les barres chocolatées Kit&Kat mettant en scène un orang outang), elle a dû batailler pour devenir respectable. En 2004, en réponse à l’appel mondial pressant pour plus de durabilité, la RSPO[1] a été créée. La mise en place de mesures contribuant à minimiser l’impact négatif de la production d’huile de palme sur l’environnement local, la faune et les communautés a fonctionné. Selon l’ONG Canopée, entre 2016 et 2021, l’Indonésie a fortement réduit sa perte de forêts primaires passant de 930 000 à 200 000 hectares/an. Le gouvernement indonésien a intensifié ses efforts de surveillance et de prévention et mis en place un moratoire permanent sur la conversion des forêts primaires et des tourbières. Malheureusement, cette tendance semble s’être inversée, l’ONG constatant une hausse de 27 % de la perte de forêts primaires en 2023. En cause, le changement climatique, et notamment le phénomène El Nino qui entraîne plus fréquemment sécheresses et incendies. En 2024, ce sont ainsi 2,8 Mt de moins qui ont été produites en Indonésie, selon l’analyste Oil World, un recul non compensé par la hausse de 0,9 Mt en Malaisie et de 0,5 Mt en Amérique Centrale. Ajoutons à cela que l’entretien des palmeraies a subi quelques turbulences. Pendant le Covid, la main-d’œuvre étrangère est partie et n’est jamais revenue au même niveau qu’avant la pandémie. Les arbres ont été peu remplacés, impactant le rendement sur le long terme (les palmiers sont en pleine production entre leur troisième et leur huitième année maximum).
Résultat des courses, l’offre mondiale peine à suivre une demande qui ne cesse de croître. L’huile est avant tout très populaire dans l’alimentation en Asie et en Afrique où la croissance galope. Elle est aussi incontournable en agroalimentaire et dans de nombreuses industries. Mais c’est la décarbonation de l’industrie et des transports, objectifs des accords de Glasgow signés par de nombreux pays (COP 26), qui a fait passer la demande dans une autre dimension…
Demande forte pour le biocarburant
L’Indonésie, qui fournit 47% du négoce mondial, cumule tous les ingrédients d’une explosion inévitable… La croissance démographique y a atteint 30 % sur les 20 dernières années et la tendance reste forte. Cela entraîne une demande accrue de la population en huile de palme pour se nourrir, se chauffer, se transporter. Très dépendant du charbon (local), le pays est sur la liste des pays les plus pollueurs de la planète. Le gouvernement, dans un souci d’atteindre ses engagements de décarbonation mais aussi de moins dépendre des importations de pétrole, pousse les feux. Dès 2025, l’obligation de mélange passera de 35 % à 40 % avec un objectif de 50 % à terme. Cela porterait la consommation à environ 18 Mt d’huile de palme brute, contre 11 Mt pour le B35 cette année. En 2023, l’utilisation pour le biodiesel a déjà dépassé, pour la première fois, celle pour l’alimentation. “The Jakarta Post” alerte d’ailleurs sur cette “énergie verte” qui menace d’augmenter la déforestation et de provoquer une pénurie d’huile de cuisson pour la population. Ironie du sort, le pays anéantit en effet des puits de carbone (forêts, tourbières)… pour décarboner ses transports et son industrie. C’est d’ailleurs cette contradiction (sa très forte intensité carbone) qui a poussé les USA et l’UE à disqualifier[2] cette huile en en tant que matière première durable sur ces marchés énergétiques clés.
Patricia Le Cadre, www.cereopa.fr
[1] Table ronde sur l’huile de palme durable
[2] lignes directrices Red II et III[2] en Europe et le RFS[2] aux États-Unis
L'huile de palme s’est immiscée partout
De l’huile de palme, vous en consommez tous les jours ! Que ce soit dans un paquet de gâteaux ou de bonbons, dans un jus de fruit (et oui !), dans votre crème de jour ou votre dentifrice, cette huile s’est immiscée partout. On dit qu’elle et ses dérivés sont présents dans 50 % des 40 000 références d’un supermarché américain. Et si vous faites le test dans votre superette, vous pourriez être surpris. Pour autant, elle est parfois difficile à traquer, tant ses dérivés ont des noms plutôt éloignés de celui du palme. Son succès, elle le doit à la fois à son prix d’usage mais aussi à sa stabilité. Elle ne rancit pas et ne s’oxyde pas, et aide donc à la bonne conservation des denrées. Cette huile est aussi très recherchée pour la production mondiale de biocarburants. Ce débouché a explosé passant de 2 % en 2010 à 17 % en 2024.
D’autres origines montent en puissance
Plus l’Indonésie utilisera sa production localement, et plus le marché mondial se tendra, vu sa position dominante actuellement. Reste que le négoce, largement trusté par des grands groupes comme Wilmar, Cargill ou Louis Dreyfus, trouvera des parades. D’autres origines montent en puissance comme le Guatemala, la Colombie ou la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il faudra donc rester vigilant pour que cette huile, qui reste la moins chère à produire en alignant 3t/ha en récolte continue, ne crée pas d’autres désastres écologiques ailleurs.