dd7964.hr - Illustration Le taureau, roi des dieux
Le taureau de Wall Street incarne la puissance de l’argent.

Le taureau, roi des dieux

Qualifié de « plus sauvage des animaux domestiques » par le naturaliste Buffon, le taureau est symbole de puissance, de vitalité, de fécondité. Et de richesse.

Le taureau est sans doute le premier dieu des hommes. C’est ce que suggère l’historien médiéviste, Michel Pastoureau qui consacre un livre à cet animal totem. Un animal indissociable de la vie spirituelle primitive des hommes. « Son culte est solidement attesté dès la plus haute Antiquité en Mésopotamie », explique l’érudit, lors d’un entretien accordé à Paysan Breton.

Bénéficier de récoltes abondantes

Longtemps, le taureau fait office d’intermédiaire entre le monde des hommes et celui des dieux. Son sacrifice rituel joue un rôle essentiel dans les religions antiques. « Il remplit deux fonctions : pour le roi et le guerrier, il s’agit de s’investir de sa force inépuisable ; pour le paysan, il s’agit de recueillir ses vertus fécondantes et de bénéficier ainsi de récoltes abondantes ». En Égypte, le taureau est un principe vital et un attribut de pouvoir : « Les pharaons le mangent pour se revitaliser ».
Michel Pastoureau raconte volontiers le culte égyptien voué à Apis qui passe pour avoir été engendré par une génisse vierge, fécondée par le feu céleste. « Il existe une réelle admiration pour Apis, un taureau vivant que l’on reconnaît par sa robe blanche parsemée de 29 signes particuliers. Quand il est trouvé, il est conduit en procession jusqu’à Memphis où on l’honore pendant 25 ans. Puis, il est mis à mort. Son corps est momifié et enterré dans le caveau des Apis au cours de funérailles spectaculaires suivies d’un deuil de 70 jours ».

[caption id=”attachment_53234″ align=”aligncenter” width=”700″]dd7965.hr copie Statuette en bronze du IIe millénaire avant J.-C. Offerte. Les Phéniciens sacrifiaient des bovins à leurs dieux et offraient des objets votifs. (Musée du Louvre).[/caption]

Les cornes de la force

L’animal mythique est également présent dans l’épopée de Gilgamesh. Dans ce récit faisant partie de l’œuvre littéraire la plus ancienne de l’humanité, il est question de taureau céleste dont les cornes sont apportées au temple de Dieu. « Pourquoi les cornes ? Parce que c’est en elles que résident la force et la fertilité ». Dans de nombreuses mythologies et cultures, une attention spéciale est en fait réservée aux cornes. « Les toucher ou, mieux, s’en emparer procurait la force et l’abondance ». D’où le casque à cornes taurines porté par de nombreux guerriers antiques. À l’âge du bronze, les dépôts votifs de cornes sont abondants dans une large partie de l’Europe.
Les cornes ne sont pas seulement symbole. « On y harnache l’araire ». Un attelage pour le moins surprenant quand on l’observe avec l’œil contemporain. « De la lune aux cornes – en forme de lune –, des cornes à l’araire et de l’araire à la terre se transmet une énergie fécondante qui va faire pousser les grains », décrypte l’auteur.

[caption id=”attachment_53227″ align=”aligncenter” width=”720″]dd7963.hr « De Lascaux à Picasso, il y a une longue histoire du taureau dans l’art », fait observer Michel Pastoureau.[/caption]

Emblème de l’Europe

Le taureau est largement présent dans la mythologie grecque. Dont le récit bien connu du minotaure, ce monstre fabuleux, moitié homme moitié taureau, et de la belle Europe qui doit son aventure au magnifique taureau blanc qu’elle aperçut parmi les troupeaux de son père. La bête n’était autre que le dieu Zeus qui enleva la nymphe. Aujourd’hui, cette divinité est encore bien vivante au travers de notre continent qui a épousé son nom. « Le taureau devrait être l’emblème de notre Europe contemporaine », pense Michel Pastoureau.
C’est encore en levant les yeux vers le ciel que les hommes ont discerné un taureau dessiné par les étoiles. « Sans doute dès le Néolithique », situe l’historien. Cette constellation est notamment marquée par deux grandes cornes et un œil rouge, appuyé par l’étoile géante Alpha Tauri. « Pendant longtemps, observer les astres permettait de livrer des spéculations divinatoires. »

À l’origine du « A » de l’alphabet

La société contemporaine n’en finit pas de « déifier » et de craindre le taureau. « Les proverbes, les comparaisons imagées, les sens figurés ont prolongé jusque notre vie quotidienne les croyances ancestrales et la mythologie du taureau : toujours il incarne la fougue et la colère, et à ce titre le rouge reste sa couleur », rappelle Michel Pastoureau, par ailleurs spécialiste des couleurs. Différentes expressions soulignent le danger présenté par ce descendant de l’aurochs : « Prendre un taureau par les cornes signifie attaquer de front une difficulté ».
Mais s’il est peut-être un symbole associé à cet animal patibulaire qui a le mieux traversé les millénaires depuis sa domestication : c’est la richesse. « Posséder un troupeau est devenu peu à peu une forme de prestige social, voire un signe de pouvoir ». D’ailleurs, notre « A » latin est hérité du « A » renversé de l’alphabet phénicien dans lequel on reconnaît une tête de taureau qui symbolise l’argent. Dans la même filiation, « pecu » qui signifie bétail en tant que bien possédé, a donné pécuniaire. Pas étonnant qu’une sculpture du taureau trône à Wall Street devant la Bourse de New-York. Quel autre animal incarne mieux le monde mythique de l’argent tout puissant ?

En savoir plus : « Le taureau, une histoire culturelle », de Michel Pastoureau, est publié aux éditions du Seuil. À lire passionnément …


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