Devant la France, l’Allemagne est le leader européen en matière de production de lait. Quels sont les atouts de ce voisin dynamique ?
« L’Allemagne et les Pays-Bas, deux références laitières en Europe, sont à la fois si proches et pourtant si différents de nous », introduit Jean-Marc Lohier, président de la section laitière de la FDSEA des Côtes d’Armor. À l’occasion de la journée laitière annuelle à Plérin, les présentations et débats ont tourné autour de ces deux modèles de filière.
« + 17 % de lait en 10 ans en Allemagne »
L’Allemagne présente une taille moyenne d’exploitation proche de la France. Mais le premier producteur de lait européen (31,9 millions de tonnes en 2017), devant la France (24,6 millions de tonnes) connaît pourtant un développement tout autre : « Sur les 10 dernières années de libéralisation progressive des volumes, on constate des dynamiques de production très différentes d’un pays à l’autre : + 7 % en France, + 17 % en Allemagne, + 33 % aux Pays-Bas », précise Mélanie Richard, cheffe du service économie du Cniel. « Ces trois acteurs n’ont pas eu la même réaction au changement de contexte. »
Si tout le territoire allemand est caractérisé par une bonne densité laitière, trois zones se distinguent clairement. Le Nord-Ouest a connu une croissance rapide des structures (88 laitières en moyenne, généralement des Holstein). La collecte – transformation est essentiellement assurée par des coopératives positionnées sur la compétitivité prix. Au Sud, des exploitations plus petites (42 vaches en moyenne de race mixte), un prix du lait supérieur avec un poids plus important des transformateurs privés et de très nombreuses organisations de producteurs, ainsi que des soutiens généreux de la Bavière via le 2e pilier de la Pac ou des aides exceptionnelles.
À l’Est, les mégafermes issues de la période collectiviste (194 vaches de moyenne, plus de 51 % des troupeaux au-dessus de 500 têtes). « Un déplacement du cheptel et une concentration de la production dans le Nord-Ouest sont observés avec une multiplication des grandes fermes beaucoup plus nombreuses qu’en France. Mais le Sud, et ses petites exploitations, ne subit pas de relâchement pour autant », souligne Mélanie Richard. La restructuration est globalement rapide : « À l’échelle nationale, 54 % des exploitations ont plus de 100 vaches contre 37 % en 2010. 28 % ont plus de 200 vaches contre 19 % en 2010. » Ces grands troupeaux expliquent en partie que 25 % de la main-d’œuvre sur les ateliers allemands est salariée contre moins de 10 % en France.
Des aides plus importantes
Contrairement à la France où cette problématique complique les installations, en Allemagne, même si les droits et mécanismes de succession sont historiquement différents entre Länder, la transmission de ces grosses structures est facilitée : législation spécifique aux propriétés agricoles, droit d’aînesse pour éviter le morcellement, avantages en faveur des repreneurs…
Le développement des grandes exploitations est aussi favorisé par l’accès aux aides à l’investissement. « Les plafonds d’investissement éligible sont 10 fois supérieurs en Allemagne », précise Mélanie Richard. Ainsi, sur la période 2007 – 2013, au titre de la modernisation des exploitations, 20 % des ateliers laitiers ont été aidés à hauteur de 20 % en Basse-Saxe (2 066 sur 10 000) et en Bretagne (2 700 sur 13 000), respectivement pour des montants moyens de projet de 78 000 € et 14 500 € d’aides. Ces disparités se poursuivent sur la période 2014 – 2020 concernant les critères d’éligibilité pour les aides aux investissements en bâtiments d’élevage. « En Bretagne, le plafond est de 120 000 € pour un projet, 200 000 € pour trois parts ou plus au titre de la transparence. En Basse-Saxe, c’est un million d’euros avec un taux de subvention supérieur. Et même 2 millions d’euros avec la transparence pour un montant d’aide maximum de 400 000 € sur un même projet… »
Un foncier coûteux mais moins de dettes
Autre différence majeure entre les deux pays : les fonds propres sont bien supérieurs en Allemagne. Selon les chiffres de la DG Agri Rica traités par l’Institut de l’Élevage, une exploitation laitière individuelle en Allemagne du Nord a un actif d’1 million d’euros contre 650 000 € pour une association de l’ouest de la France. « Le poids du foncier est beaucoup plus important chez nos voisins », précise Mélanie Richard. « Le prix de la terre a doublé en 10 ans en Allemagne, pour atteindre de 10 000 € / ha dans l’Est à plus de 32 000 € dans le Nord-Ouest et même 50 000 € en Bavière en 2016. Mais même si le marché est peu réglementé en Allemagne, seuls 0,5 % de la terre est vendu chaque année hors succession. »
Pourtant, les Allemands sont moins endettés : « 25 à 30 % contre 50 % en France et 35 à 40 % aux Pays-Bas. Soit 0,40 € / L de lait en Allemagne, 0,5 € en France et 1,5 € aux Pays-Bas. » Et même si les revenus subissent davantage de volatilité qu’en France, ils restent supérieurs en Allemagne : 91 € / tonne de lait contre 80 € en France sur 2013 – 2016. Sur la même période, pour les exploitations laitières spécialisées, le revenu courant avant impôts par UTA non salariée atteint ainsi 29 282 € / an contre 19 440 € en France.
L’attractivité du métier passe aussi par le revenu
[caption id=”attachment_38048″ align=”alignright” width=”149″] André Bonnard, Secrétaire général de la FNPL[/caption]
Les éleveurs laitiers français sont loin des revenus de leurs homologues allemands et encore plus hollandais. Aujourd’hui, un jeune français a beaucoup plus de chance de gagner mieux sa vie ailleurs que dans une exploitation. Vu le défi de renouvellement des générations, il est urgent de parler d’attractivité et notamment d’attractivité économique du métier. Sinon il faudra changer de modèle de filière : soit produire autant de lait avec des fermes qui grandissent – mais se posera vite la question de l’acceptabilité des troupeaux de 200 ou 500 vaches par les citoyens – soit faire moins de lait. Les laitiers français ont touché 345 € / 1 000 L sur les 5 dernières années, équivalant à un salaire mensuel moyen de 1,16 Smic. Il faudrait atteindre 396 € / 1 000 L pour permettre au producteur de se rémunérer à hauteur de 2 Smic par mois. Cela passe par une augmentation du prix au consommateur de 4 %… Après les EGA, ce « rebasage » des prix est indispensable à l’attractivité. André Bonnard, Secrétaire général de la FNPL