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Le lait flotte dans le brouillard

La planète a toujours soif de lait. Mais le stock mondial constitué en 2014 pèse sur les prix, d’autant plus que la production mondiale reste dynamique. L’automne pourrait être chaud.

C’est la loi de King : les gens sont prêts à donner tout ce qu’ils ont pour acheter la quantité de nourriture qui leur est indispensable. Conséquence de ce comportement : une petite pénurie et les prix agricoles explosent ; une petite surproduction et les prix s’effondrent. Sur le marché laitier mondial actuel, 5 millions de tonnes n’ont pas trouvé preneur, soit 1 % de la production. Effet immédiat sur les prix : ils ont dégringolé de 25 %.

Beaucoup de fourrage, beaucoup de lait

La faute à qui, la faute à quoi ? « L’offre a été plus abondante à la fin 2014, soutenue par une conjoncture porteuse partout dans le monde et portée par une excellente année fourragère en Europe », analyse Gérard You, économiste à l’Institut de l’élevage. Qu’on se le dise : il n’y a pas que les Bretons qui ont fait des rendements records en maïs et herbe en 2014. Or, quand l’Europe fait gonfler son fleuve blanc (+ 6 millions de tonnes soit 4,5 % de croissance sur un an), cela se voit à l’échelon de la laiterie mondiale. Faut-il rappeler que l’Union européenne, avec les États-Unis et la Nouvelle-Zélande (+10 % en un an), compte parmi les trois poids lourds sur l’échiquier laitier mondial. « D’où un effet levier important quand l’Europe augmente sa production ».

« La situation s’est assainie en termes d’offre de production au premier trimestre 2015 en Nouvelle-Zélande et en Europe ». D’où un bref flottement à la hausse des prix en début d’année. Soumis plus rapidement à une baisse des prix à la production, les gros faiseurs du Nord de l’Europe ont en effet modéré leurs ambitions. « C’est ainsi que le raz-de-marée post-quotas annoncé n’a pas eu lieu, même si la production reste très dynamique au Danemark, en Irlande, en Pologne », observe l’économiste.

Tension sur les trésoreries

En France, le pic de collecte saisonnier de fin avril n’a pas rejoint la courbe de 2014. Il a fallu attendre juin pour que le niveau de 2014 soit dépassé. « En fait la collecte française s’est ralentie dès l’hiver. Un phénomène à relier aux signaux donnés par les laiteries : double prix, franchise de pénalités, etc. Après la capitalisation de 2013-2014, le cheptel français s’est stabilisé ».

Faute de femelles supplémentaires en stock dans les fermes et compte tenu du prix actuel du lait, il ne faut pas s’attendre à un bond de la collecte française. D’autant qu’après une baisse de 3 % en 2014, l’indice Ipampa, qui mesure l’évolution des charges, amorce une courbe légèrement ascendante. « La quasi-totalité des charges est concernée ». Situation qui freine les achats dans un contexte de trésoreries tendues. « Très tendues. La bonne année 2014 avait à peine permis de remettre les trésoreries à flot », analyse un banquier breton qui note toutefois de gros écarts entre exploitations.

Lait français mois compétitif

De l’autre côté de la balance, la demande laitière mondiale s’est calmée. Entre autres dans la zone asiatique qui absorbe aujourd’hui tous les excédents des grandes zones productrices. Un phénomène à relier à une croissance économique plus modérée dans ces pays, mais aussi en lien avec les stocks qu’ils ont constitués alors même que les prix étaient élevés. Aujourd’hui, les tensions en mer de Chine pourraient également peser sur les orientations politiques de Pékin et de ses voisins.

Ces pays pourraient privilégier l’équipement militaire aux biens alimentaires.
Dans ce contexte compliqué, l’embargo russe sur les produits frais ajoute une couche dans la balance. Les pays européens devenant fortement concurrentiels sur le marché français. Entre autres parce que le prix payé aux producteurs français a diminué moins vite que chez leurs voisins allemands et néerlandais. En clair, le lait français est moins compétitif car, sur un an, il a baissé de « seulement » 12 % contre 22 % en Allemagne et 19 % aux Pays-Bas. Tout cela dans un contexte d’achats des ménages en berne, sauf pour le beurre.

La solution viendra-t-elle du ciel ?

Après une période d’interrogation, un scénario de forte reprise en production se dessine désormais en Europe. Évolution paradoxale dans un contexte de prix orientés à la baisse. Certes, les prix reprennent normalement de la vigueur de juin à août quand la Nouvelle-Zélande se situe en creux de production. Mais aucun signe ne semble percer dans ce sens cette année. Une situation qui est qualifiée de préoccupante par les experts qui se projettent déjà avec inquiétude sur la conjoncture de l’automne prochain, quand le retour en production de la Nouvelle-Zélande s’amorcera à partir d’août-septembre, pour bondir en octobre-novembre.  Mais d’ici là, qui sait si un événement climatique comme El Niño ne viendra pas rebattre les cartes. Autrement dit, la solution viendra peut-être du ciel… Didier Le Du

L’avis de Pascal Clément, Président section lait FRSEAO

La situation actuelle risque de casser la dynamique de filière qu’ouvraient les réelles perspectives des marchés laitiers. D’autant que les périodes de cours élevés sont beaucoup trop courtes et que l’amplitude de prix est insuffisante pour que les éleveurs se refassent une trésorerie. En 2014, les producteurs français n’ont pas eu le reflet du marché ; le prix payé était le plus bas d’Europe. À l’inverse, les filières renvoient rapidement la baisse quand le marché peine. Sans parler qu’en France, les acteurs se livrent une rude bataille sur le marché intérieur.

Dans le même temps, les éleveurs doivent faire face à un effet de ciseaux prix du lait/charges infernal. À terme, comme en porc, les investissements et les installations en lait risquent de souffrir. Avec un risque réel de voir des effets importants sur le potentiel de production.


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