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Porc : Valls met les doigts dans la crise

Les éleveurs de porc voulaient profiter de la venue de Manuel Valls en meeting dans les Côtes d’Armor pour le sensibiliser ou plutôt le mettre face aux difficultés des exploitations.

En déplacement dans les Côtes d’Armor, Manuel Valls lancé dans une croisade contre le Front national, ne pouvait snober l’agriculture alors que les rumeurs vont bon train depuis quelques semaines sur la possible venue au cadran de Plérin d’une des figures de proue de l’écurie Le Pen. FDSEA 22, FRSEA et JA ont ainsi obtenu de rencontrer le chef du Gouvernement et son équipe à deux reprises. D’abord, un rendez-vous, vendredi, avec Marie Guittard, conseillère à l’agriculture du Premier ministre, pour balayer les dossiers brûlants (Pac, BVC, installation…). Puis Manuel Valls s’est rendu samedi matin à l’EARL Les Mauffries, à Pléboulle, pour se frotter à la réalité. Yohan Le Corguillé s’est installé hors cadre familial au 1er avril 2014 en investissant 1,3 million d’euros pour 380 truies naisseur-engraisseur. Une enveloppe conséquente, « à une période où heureusement les taux d’intérêt étaient déjà bas pour emprunter et renégocier les prêts des cédants. » De quoi reprendre « parts sociales et stocks, transformer une gestante en engraissement, terminer la mise aux normes, rallonger un bâtiment… »

Plus d’1 million d’euros investis pour un salaire de 800 € par mois

Le jeune éleveur de 31 ans a joué la transparence. « Depuis l’installation, ma situation financière ne s’est pas trop dégradée. Mais cela s’explique en partie parce qu’en 1re année, je paie peu d’impôts et de MSA. Sans cet allègement, ça pèserait très lourd sur la rentabilité. En rythme de croisière, les cotisations sociales montent à plus de  50 000 € dans certaines exploitations… »

Dans ces premiers mois d’activité, Yoan Le Corguillé s’était fixé des objectifs : « Refaire la trésorerie et améliorer les résultats techniques pour passer les crises. Par exemple, l’indice de consommation a baissé de 2,8 à moins de 2,7. » C’est aussitôt une économie de plus de 10 000 € sur le poste aliment. Le nombre de porcelets par truie présente a aussi progressé jusqu’à 25,6 (GTE).

Mais redresser la barre a un prix : un engagement de tous les instants. « Avec mes 2 salariés, nous avons tout remis en question. Changer d’aliments. Évoluer d’une conduite semaine à une conduite 15 jours. Revoir les courbes d’alimentation, les consignes de ventilation, la conduite sanitaire, notamment sur les lavages et désinfections… » Et les journées sont longues. « Tous les matins dès 7 h, jusqu’à 21 h, les semaines de mises bas. » Des heures qui s’accumulent, mais qui ne récompensent pas le chef d’entreprise qui s’engage. « J’ai équilibré parce que j’ai fait très peu de prélèvements privés : rien les premiers mois, et un salaire moyen de 800 € mensuels sur cette 1re année. »

« Je suis endetté à plus de 100 %, comment je fais ? »

Après une carrière de 12 ans comme technicien dans une coop, Nicolas le Borgne s’est installé en 2009. Pour reprendre et moderniser l’exploitation familiale et répondre aux « normes de bien-être et environnementales », il a mis « plus de 650 000 € » sur la table. Des investissements lourds et improductifs pour partie. Devant Manuel Valls, il n’a pas hésité à exposer la noirceur du tableau de ses comptes. « Je suis endetté à plus de 100 %. Mes lignes de crédit sont ouvertes à fond :
-128 000 €. » Il a également signé un prêt à court terme « maïs » de 60 000 €, sensé le couvrir jusqu’en novembre. Mais en mars, l’enveloppe a déjà fondu…

Devant le Premier ministre, l’éleveur, très ému, a « parlé avec son cœur », raconté « comment il faut investir des millions sur une seule tête pour se lancer aujourd’hui. Les risques pris sont énormes. Ma maison est hypothéquée. » Même avec des « résultats techniques corrects », Nicolas le Borgne, comme de nombreux éleveurs bretons, s’embourbe inexorablement : « Chaque mois, je m’endette de plus de 10 000 euros. »  Aujourd’hui, seul le revenu de son épouse permet à la famille de tenir le coup. « Il me faudrait plus d’une vie payée au Smic pour solder mon dû. Et même demain, si je redeviens salarié à 1 500 ou 2 000 € par mois, comment vais-je rembourser ? Que comptez-vous faire pour nous ? », a-t-il interpellé Manuel Valls. Ce dernier a semblé prendre conscience de l’urgence : en quittant Nicolas le Borgne, le chef du Gouvernement l’a remercié et lui a promis de le revoir. Un syndicaliste rapportait que Manuel Valls semblait « scotché » devant la « gravité de la situation » et la force des témoignages. Sa conseillère Marie Guittard a poursuivi l’échange avec Nicolas le Borgne et d’autres producteurs dont Fabien Laisné qui a entamé une grève de la faim en signe de protestation.

La lenteur administrative plombe les projets

Jusqu’à fin février, ce régime draconien a permis de conserver une trésorerie à l’équilibre. Mais à cause d’une station de traitement prévue dans le Plan de développement de l’exploitation (PDE) qui n’a pu être réalisée, Yohan a dû vendre dernièrement 380 cochons de 25 kg : « Pendant 15 jours, je n’avais plus d’entrées d’argent, mais le paiement des factures ne s’est pas arrêté. Il va falloir un moment pour remonter la pente. » Une histoire qui reste en travers de la gorge : « Grâce à cette station, on aurait mieux traité et abattu davantage de phosphore. J’ai l’autorisation d’exploiter, mais la subvention de l’Agence de l’eau s’est arrêtée en décembre alors que mon dossier était dans les tuyaux. Sans ces 70 000 €, impossible d’y aller. » Un message qu’il voulait faire passer à Manuel Valls : « La lenteur administrative plombe actuellement plus d’un projet de restructuration. » Dans la cohue de la visite en gestantes et maternité, l’éleveur a mis en avant « le confort donné aux animaux » et a insisté aussi sur « l’injustice de l’image de l’intensif et du pollueur qu’on continue de coller aux éleveurs. »

Toma Dagorn


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