En ce mois de mai, la situation est explosive sur le marché du blé américain. Le maïs joue un rôle modérateur.
Les États-Unis produisent moins de 9 % du blé mondial, mais plus d’un tiers du maïs de la planète. En 2013/14, les USA auront approvisionné respectivement 20 % et 37 % du commerce mondial de chacune de ces céréales. Le pays est donc un exportateur incontournable et participe, ou non, à l’équilibre du marché international. Entre un blé qui sort d’une hibernation difficile et des maïs qui peinent à être semés, le marché de Chicago est aux abois. Le blé (SRW*) devrait très bientôt atteindre les 200 €/t (7,5$/bu), alors que le maïs est remonté de 115 €/t à 145 €/t (4 à 5 $/bu) depuis le début de l’année.
Blé : de moins en moins résilient
Depuis plusieurs mois, les traders observent avec attention les conditions dans lesquelles le blé a hiberné. Ils découvrent aujourd’hui, les dégâts causés par un froid et une sécheresse extrêmes, à laquelle vient s’ajouter des températures particulièrement chaudes pour cette période de l’année dans certaines zones de production. Ainsi, 38 % des blés d’hiver sont dans un état mauvais à très mauvais en ce début de mois de mai, une situation qui ressemble beaucoup à celle de l’an passé. Par contre, l’état végétatif est nettement en retard par rapport au printemps 2013, ce qui laisse craindre pour les rendements, car la résilience des grains s’amenuise fortement. Les modèles météorologiques restent pessimistes sur les prochaines semaines, et il faudrait maintenant un miracle pour atteindre les objectifs sur le HRW*, qui représente en général la moitié des surfaces de blé du pays. Et les perspectives sur le SRW* ne sont pas de nature à améliorer le tableau global.
Les stocks au plus bas
La dégradation subie par ce blé entre novembre et mai a été extrême, et les stocks de report sont au plus bas depuis 6 ans. Or c’est sur cette qualité, cotée à Chicago, que se concentre la grande majorité des investissements et des arbitrages, ce qui lui confère une réactivité qui va bien au-delà de son bilan spécifique. Le prix du contrat mai est remonté à un niveau qui n’avait pas été observé depuis février 2013. Si la situation est explosive, c’est que les réserves mondiales peinent à se régénérer chaque saison, alors que les prix relativement bas n’ont eu de cesse d’alimenter la demande. Sur la campagne 2013/14, les échanges mondiaux de blé vont atteindre un niveau historique, à 151 Mt. Cela dépasse de 10 Mt le précédent record de l’an dernier. Le ratio stocks/consommation mondial de cette fin de campagne s’établit à 27,5 %, mais est déjà attendu en baisse en 2014/15, à 26,6 % sans scénario catastrophique aux USA.
Trois types de blé aux USA
Les USA produisent surtout trois types de blé. Une petite partie est semée au printemps, dans les états frontaliers du Canada qui connaissent des hivers trop rigoureux. Il s’agit du Hard Red Spring Wheat, un blé meunier titrant 14 % de protéines qui représente moins de 14 Mt, soit 23 % de la récolte 2013, et qui est coté sur le marché de Minneapolis.
Le blé le plus cultivé est semé à l’automne, et se nomme le Hard Red Winter Wheat. Il est surtout implanté dans les plaines du Kansas, du Nebraska, de l’Oklahoma, et du Texas où les hivers sont froids avec peu de précipitations. Il titre 12 % de protéines et son débouché principal est la fabrication du pain. Il est coté sur le marché de Kansas City, prend une part active dans les exportations US et pèse entre 25 et 27 Mt, soit en général plus de 40 % de la production américaine. Mais en 2013, ce pourcentage est tombé à 35 %.
Enfin, le Soft Red Winter Wheat (10% de protéines) se cultive dans différentes régions des États Unis, mais surtout dans la région des grands lacs qui offrent des conditions plus humides. Ce blé est coté sur le marché de Chicago. Il sert de référence mondiale, alors qu’il est loin d’être le plus important en volume (18 % de la récolte 2012) et que cette qualité est peu exportée.
Stabilité de l’Europe
D’ores et déjà, l’Europe paraît la zone exportatrice la plus stable et pourra répondre au marché si ses concurrents font défaut. Car, quid du rendement aux États-Unis ? Quid de la logistique au Canada où les agriculteurs et les négociants investissent dans le stockage pour ne plus être les otages des transports et ne pas brader leur marchandise en 2014 ? Quid des expéditions au départ de la Mer Noire si la Russie et l’Ukraine s’embrasent ? Nous repartons donc pour une année supplémentaire de flux tendus sur le marché mondial du blé, ce qui rend toute mauvaise nouvelle météo ou politique largement haussière pour la céréale.
L’élément modérateur reste donc le maïs… sauf que pour l’instant, il semble, lui aussi, tiré vers le haut. Alors que les stocks de report 2013/14 seront conséquents, les États-Unis prévoient de planter des superficies record en maïs. Avec plus de 39 millions d’hectares, nous parlons d’un niveau jamais atteint depuis les quelque 41 millions d’hectares de 1936 ! La situation semble donc très confortable… sauf que là encore, tout reste à faire.
Les investisseurs très attentifs
Pour beaucoup d’observateurs, les premières prévisions de l’USDA sur 2014/15 semblent très optimistes, avec un rendement proche de 13 t/ha, largement au-dessus d’une moyenne tendancielle. Mais ce qui se passe en été est souvent plus important que ce qui se passe au printemps pour cette culture. Les réserves hydriques sont très bonnes, et la mise en place du phénomène El Nino en début d’été, serait aussi favorable au développement de la céréale. Il semble donc prématuré d’envisager un scénario catastrophe.
Les investisseurs peuvent cependant paniquer rapidement. Ils ont en mémoire l’année 2012, où les USA ont vu fondre de 100 Mt (26 %), les estimations faites au printemps… Surtout, ils restent très attentifs à l’évolution du conflit russo-ukrainien qui pourrait perturber largement l’approvisionnement en maïs du marché européen. Rappelons que l’Ukraine est désormais le troisième exportateur mondial et participe à l’équilibre du bilan de l’UE notamment. Toute escalade du conflit avec son voisin aura forcément des répercussions haussières sur un marché mondial des céréales en apesanteur pour le moment. P. Le Cadre
*HRW (Hard Red Winter Wheat) et SRW (Soft Red Winter Wheat) : voir encadré