10386.hr - Illustration « Oui, on peut faire pousser du riz en Bretagne ! »
Fin mai : Alexandre Reis présente ses plants, démarrés sous serre en micro-mottes. Quand ils atteignent 20 cm, ils sont prêts à être transférés en pleine terre.

« Oui, on peut faire pousser du riz en Bretagne ! »

Depuis 2015,  Alexandre Reis et Alexandre Laverty plantent chaque année du riz sur une petite surface. Objectif : acclimater la céréale à notre région. Reportage près de Dinan (22).

« Tu t’es déjà baigné en Bretagne, toi ?
– Tu rigoles ou quoi ? Je suis du sud moi, l’eau est trop froide ici…
– Et bien le riz, il est comme toi, il n’aime pas l’eau froide, il lui faut 14° minimum au pied et en permanence. Par contre, tu peux très bien le planter dans une terre humide, sans noyer la parcelle ».

Ce dialogue, un brin surréaliste, a lieu entre un riziculteur malien et Alexandre Reis : « Ce jour-là, je recevais  une délégation du Mali en voyage d’étude sur les Maisons familiales rurales », se souvient Alexandre qu’on pourrait essayer de définir comme : réfugié parisien – couturier-cuisinier – reconverti dans l’agriculture à l’aube de ses 60 ans !

Peu de temps après avoir acheté une maison près de Dinan, cet entrepreneur dans l’âme, curieux de nature, s’est mis en tête d’y faire pousser un peu d’or blanc : « Mon projet consistait d’abord à cultiver des épices, mais comme la ferme se trouve en zone humide, je me suis demandé ce que je pouvais y planter d’autre… Du riz, me suis-je dit  ». Alexandre Reis se documente, retrace l’histoire de cette culture en France, fait jouer son réseau et se procure vingt-sept variétés de semence en provenance du monde entier : Madagascar, Cambodge, Italie… Entre-temps, il est rejoint par Alexandre Laverty qui le soutient dans sa démarche. Les deux hommes se lancent en 2015, refusant d’écouter le « ça ne poussera jamais » qu’on leur promet. Toutes les semences sont plantées sur une bande de 60 m2, premier pas vers la nouvelle variété de riz qu’ils entendent créer.

« Mais on a commis une grosse erreur : planter dans l’eau. Ça a donné une belle plante verte… sans grains ! ».  L’année suivante, forts des conseils de leur visiteur africain, ils récoltent le premier riz breton : « Son grain est long, légèrement vert et plus il cuit, plus il verdit ». Chaque année, ils en gardent quelques kilos pour le ressemer. Le reste passe entre les mains de chefs cuisiniers invités à des ateliers gastronomiques. Ce qu’ils en disent ? « C’est un riz avec des saveurs de quinoa, châtaigne, noisette et soupçon de vanille en fin de bouche ».

[caption id=”attachment_60124″ align=”aligncenter” width=”720″]10385.hr Début juillet, avec un mois de retard, les plants de riz sont plantés dans une terre si humide, qu’Alexandre Laverty doit utiliser des planches. Sans entamer leur détermination, la météo de plus en plus chaotique complique la tâche des riziculteurs pour adapter la céréale au climat breton.[/caption]

Démarrage en micro-mottes

2021 annonce déjà une sixième récolte. Ceci-étant, on comprend que les deux Alexandre en sont toujours au stade expérimental tout en s’accrochant à leur idée de départ : « Oui, on peut faire pousser du riz Bretagne . Notre premier objectif, c’est d’acclimater la semence au terroir et au climat local. En plantant le riz à l’extérieur où il doit supporter des écarts de températures plus importants qu’en serre, on parie sur son adaptation, il doit gagner en résistance […]. C’est un riz de pleine terre que l’on démarre sous serre. Les grains germent en micro-mottes. Un mois avant de les planter, on travaille la terre en surface à l’aide d’une herse rotative. On élimine ainsi le gros du couvert végétal qui nous sert d’engrais vert. Fin mai – début juin, les micro-mottes sont plantées, espacées d’environ 25 cm. Cela permet aux plants de démarrer vite, empêchant le couvert végétal de prendre le dessus. On apporte ensuite un engrais naturel à base de betterave et de micro-organismes. La plantation est surveillée, arrosée et désherbée si nécessaire. Chaque plant donne un tallage d’environ 40 à 50 brins, chaque brin forme une grappe de riz (rendement estimé 1,3 t/ha). Bien entendu, à grande échelle, toutes ces opérations sont mécanisables jusqu’à la récolte qui, pour nous, a lieu fin octobre – début novembre ».

Rêve coopératif

« Dans l’idéal, on aimerait pouvoir lancer la création d’un vrai collectif d’agriculteurs réunis au sein d’une coopérative. Au départ, on leur donnerait la semence, ensuite, chacun d’eux cultiverait son riz, ayant juste à nous restituer l’équivalent de la semence fournie », ose rêver Alexandre Reïs, qui passera bientôt la main à son associé. La préparation et le traitement du riz seraient également mutualisés au sein de la coopérative chargée de le décortiquer, sans qu’il soit blanchi, ni traité. Puis, il serait mis en sachet et vendu au nom de chaque ferme…

Mais pour l’heure, la priorité est ailleurs : « On voudrait obtenir le droit d’utiliser librement notre semence paysanne, voire de la vendre, tout en renforçant la variété que nous avons créée ». Chose tout à fait envisageable par le biais d’échanges de graines, notamment avec des agriculteurs qui cultiveraient ce riz dans d’autres secteurs du Grand Ouest.

[caption id=”attachment_60297″ align=”aligncenter” width=”720″]ferme triskell boeuf wagyu La Ferme du Triskell Rouge fonctionne sur de petites productions fortement valorisées à l’image de ces bœufs wagyu vendus directement en caissettes.[/caption]

Une histoire savamment épicée

« En 2010, au terme d’un défilé de mode épuisant, je suis venu me reposer en Bretagne et m’y suis senti bien, d’où l’envie d’y acheter une maison  ». Énième virage dans la vie d’Alexandre Reis, bosseur infatigable né au Portugal. Tantôt styliste dans la haute couture, tantôt chef cuisinier, rien ne l’arrête : pas même l’idée de se reconvertir dans l’agriculture à l’âge où d’autres envisagent plutôt la retraite… « J’ai commencé par déménager mon atelier de couture à la Richardais, puis, au contact de petits producteurs chez qui je m’approvisionnais pour cuisiner, j’ai eu envie de revenir à la terre, de manger des bonnes choses comme quand j’étais petit… ».

Son projet de départ ? Cultiver des épices puisqu’il adore les cuisiner . Aussi, quand il croise la route de Sophie, productrice de Safran près de Fougères, il lui achète plusieurs milliers de bulbes, prenant soin de les laisser en terre en attendant de trouver ce qu’il cherche : « J’ai eu le coup de foudre pour une ancienne ferme laitière à Évran, avec en cadeau 5 ha de terres cultivables ». Il s’y installe en 2014. Axandre Laverty, lui, est vendéen et paysagiste de formation. Les deux hommes se rencontrent au hasard de la vie. Ensemble, ils créent leur safranière et plantent 8 500 bulbes sur autant de m2. Choix délibéré pour éviter de changer les bulbes de parcelle : « Certes, le rendement est moindre, mais cela nous a permis de concilier la présence du safran avec celle d’animaux (chevaux et bovins), hors période de récolte, évidemment ». Dès lors, la Ferme du Triskell Rouge existe. Aujourd’hui, elle est renommée pour ses caissettes de viandes issues de bœufs wagyu et de porcs élevés en plein air. Sans oublier les gourmandises élaborées par le chef maison : rillettes au safran, terrine de boudin noir au gingembre, cidre à la figue… « Toutes nos préparations carnées sont fabriquées par la maison Cosperec à Langonnet ». Alors, à quand le « Rizotto Triskell Rouge » au bœuf de Kobé ?

Pierre-Yves Jouyaux


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