- Illustration Marché laitier : « Fiers de n’avoir laissé aucun litre de lait de côté »

Marché laitier : « Fiers de n’avoir laissé aucun litre de lait de côté »

Si le secteur a su, malgré tout, traverser la période du confinement avec agilité, l’impact global sur la filière laissera longtemps des traces. Un responsable du groupe Eurial raconte.

« En février, nous avions l’impression que toutes les planètes étaient alignées… Puis tout s’est enchaîné avec des problèmes d’exportation vers la Chine, un incendie dans une de nos usines en Vendée et le basculement dans la crise sanitaire avec un absentéisme qui a atteint jusqu’à 20 % sur notre site dans l’Est… En plein pic printanier, nous avons craint ne pas être capables de ramasser et transformer tout le lait », raconte Bertrand Rouault, directeur général du développement d’Eurial, la branche lait du groupe coopératif Agrial qui collecte 4 300 producteurs en Normandie, mais aussi en Bretagne, Pays de la Loire et désormais Rhône-Alpes.
« À l’arrivée, nous sommes très fiers de n’avoir laissé aucun litre sur le côté. » Un défi opérationnel relevé avec succès (« malgré la saga des masques, difficile à obtenir pour protéger nos personnels ») par les équipes d’un industriel représentant 10 % de la collecte française.

Le chamboule-tout des débouchés

Par contre, le responsable parle d’un véritable « chamboule-tout » sur l’aval. « Au moment du confinement, transformateurs et restaurateurs ont subi des pertes considérables liées au dégagement de produits en stock qui, du jour au lendemain, n’avaient plus d’usage… » Puis, les besoins du marché intérieur, avec le réseau de grande distribution en son cœur, ont totalement changé. « Une demande énorme sur les basiques comme le beurre – + 35 % sur avril et des usines qui tournaient 7 jours sur 7 –, la crème, l’emmental râpé… Mais à fin avril, un recul de 27 % sur la mozzarella et de 19 % sur les autres fromages. » Si la demande en GMS a compensé en partie en volume la baisse des exportations et des débouchés vers le « food service » (restauration et industrie agroalimentaire), en termes de chiffre d’affaires, le compte n’y est pas du tout.

« La pandémie qui a sévi sur la période du ramadan (23 avril-23 mai) a par exemple réduit les approvisionnements vers le Moyen-Orient . Il n’y a pas eu cette consommation festive habituelle. » Et le secteur de la restauration dans son ensemble (collective, de proximité, rapide, d’hôtellerie, scolaire, de transport, de loisirs…), destination importante du mix produit d’Eurial, aurait vécu un recul de 75 % de CA du 15 mars au 11 mai.

Des clients en incapacité de payer ?

Aujourd’hui, à l’heure du déconfinement progressif, de nouveaux problèmes se posent. D’abord, les prévisions de marché, concernant les volumes et types de produits à proposer « sont très complexes » à faire. Sans oublier que certaines opérations, comme l’affinage de fromages, réclament du temps. Ensuite, avec la réouverture de certains canaux de distribution, comme les restaurants et les snacks mais pas seulement, la demande se réveille déjà comme pour « la pizza consommatrice de mozzarella ». Mais les transformateurs se retrouvent face à une clientèle fragilisée par la crise économique. « Cette dernière veut être réapprovisionnée très rapidement alors qu’elle n’en a pas toujours les moyens financiers. Sur le créneau du food service, il est plus que probable que des clients auront des difficultés… »

Les sacs de l’intervention au placard

Pourtant, Bertrand Rouault commence à apercevoir quelques éclaircies dans le paysage embrumé. « Avec le décalage entre l’Asie et l’Europe dans la crise sanitaire, on voit aujourd’hui revenir de Chine des conteneurs Reefer (réfrigéré) qui nous avaient bien manqués… On retrouve doucement les flux habituels. » Le télétravail des équipes supports se poursuit et l’absentéisme au niveau de la collecte et des usines de transformation « qui avait beaucoup inquiété au début de la pandémie » a retrouvé un taux normal autour de 5 %. Sur le plan financier, le groupe a mis place un plan de réduction des frais fixes (déplacements, publicité…). « Enfin, la baisse du prix du lait payé aux éleveurs, même si elle est réelle, reste limitée. Au début du printemps, nous avions très peur et avons même acheté des sacs pour le stockage de poudre à l’intervention. Nous continuons d’espérer ne pas avoir à les utiliser. »

Baisse modérée du cours des produits laitiers

Nous vivons une période inédite. Nous glissons vers une récession économique d’une vigueur exceptionnelle. La plus forte depuis la 2e guerre mondiale selon FMI qui prévoit une baisse de 11 % du PIB en Europe sur 2020. Des secteurs sont en pleine déconfiture et pourraient basculer vers une restructuration forte. Malgré des difficultés – fromages de tradition, produits pour la RHF –, l’activité du secteur laitier en France est moins impactée que bien d’autres branches comme le bâtiment (- 70 %) ou l’hôtellerie-restauration (- 90 %). Les cours des produits laitiers ont subi une baisse modérée comparé à l’effondrement du sucre ou des huiles végétales.Benoit Rouyer, directeur prospective Economie au Cniel


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