- Illustration Covid-19 : « Demain, tout pourrait changer »

Covid-19 : « Demain, tout pourrait changer »

Paolo Ciceri est producteur de lait à Casalpusterlengo, à 40 km au sud de Milan, en Lombardie. La région d’Italie où le Covid-19 a émergé. Il raconte à cœur ouvert.

“Je n’oublierai jamais le vendredi 21 février quand la nouvelle de la présence de l’épidémie de Covid-19 dans notre région s’est répandue. L’incrédulité et la panique m’ont d’abord gagné et je me suis aussitôt inquiété pour la santé de ma famille et de mes employés. Mes fils, Stefano et Andrea, fréquentent des écoles proches de l’hôpital de Codogno où a été admis le patient 1. L’un d’eux joue au football dans le même club. Des membres âgés de notre famille ont été immédiatement placés en isolement.

Salariés coincés en Inde

Le lendemain, toute la zone a été bouclée par l’armée. Entrées et sorties interdites. Toute l’activité s’est arrêtée sauf l’élevage. Sur nos neuf employés, six sont indiens originaires du Pendjab vivant sur l’exploitation. Ils prennent habituellement leurs congés pour retourner chez eux l’hiver. En février, lorsque le premier cas de Covid-19 a été révélé, Rambir et Gagan s’apprêtaient à rentrer d’Inde, alors que Sonu venait de partir… Aucun d’eux n’a encore pu revenir en Italie et nous ne savons toujours pas quand ils le pourront. En attendant, leurs remplaçants viennent de l’extérieur.

Les familles de mon frère Francesco et de mes sœurs, Luisa et Carolina, qui travaillent à l’extérieur vivent également sur la ferme. Nous nous sommes organisés dans l’espoir de ne pas être infectés. La vie quotidienne de l’exploitation a bien sûr été bouleversée. Chacun est plus prudent, méfiant et distant des autres. Nos pratiques ont évolué. Des vestiaires séparés ont été créés pour les employés. Nous travaillons tous avec des protections : blouses, gants et masques. À la fin de cette période, nos habitudes ne seront plus les mêmes qu’avant.

Un lait toujours collecté

Dans notre ville de 15 000 habitants, plus de 130 personnes sont mortes. Nous restons très secoués par ces pertes. Le plus marquant dans ce “drame” ? Les images des cercueils alignés les uns à côté des autres et l’impossibilité des gens de faire leurs adieux à leurs proches.

Chez nous, le Pape est et a toujours été une référence. Dans ces circonstances, ses paroles nous insufflent la force nécessaire pour avancer. Aujourd’hui, nous redécouvrons certaines valeurs et apprécions encore plus les moments quotidiens, notamment en famille. En gardant à l’esprit que, demain, tout pourrait changer.
Pour des passionnés de vaches comme nous, 5e génération d’éleveurs dans la région de Lodi, le travail nous a donné un cap pour traverser ce moment très difficile. Heureusement, le lait n’a jamais cessé d’être ramassé. Collectant 600 éleveurs dans tout le pays, Granarolo, notre laiterie, produit aussi bien du lait de consommation, du yaourt, de la mozzarella, des produits frais que des fromages d’appellation comme les Grana Padano, Pecorino et Gorgonzola. En mars, nous avons été payés 0,42 € le litre.

Mais d’autres laiteries concentrées sur la fabrication de mozzarella et de produits frais, facilement périssables, ont dû évacuer leur lait sur le marché spot plus spéculatif où le prix n’était que de 0,33 € au nord de l’Italie sur la même période. Dans ce contexte, l’aspect qui m’a le plus fait réfléchir d’un point de vue économique est l’exposition des élevages au marché des matières premières, maïs et soja. À mon avis, la part achetée doit être réduite autant que possible et doit absolument être protégée par des contrats d’achat à long terme.
Après cette histoire, j’ai le sentiment que beaucoup de choses seront transformées dans la manière d’interpréter la vie.

L’insouciance perdue des jeunes

Nous, les adultes, sommes habitués à traverser des moments difficiles, avec engagement, espoir et confiance. C’est différent pour les plus jeunes : face à cette crise, ils ont “grandi” mentalement et ont peut-être perdu une certaine insouciance. Je ne les ai jamais poussés vers l’élevage, mais mes deux fils sont à l’école d’agriculture. Quand je vois la passion dont ils font preuve auprès des animaux, je cerne bien la voie qu’ils ont déjà choisie. Après cette épreuve, je crois qu’ils sont plus aptes à prendre des responsabilités.”

Propos recueillis par Toma Dagorn

Les amis nous manquent

En apparence, le quotidien de notre élevage de 100 vaches à la traite est resté le même. La laiterie Inalpi ramasse notre lait pour la production de confiseries Ferrero. Les livraisons en aliment, médicaments, engrais et semences se déroulent normalement. Seul le commerce des veaux mâles destinés à l’engraissement se fait avec plus de difficulté. Et les visites ont considérablement diminué. Les rares conseillers qui passent sont équipés de protections. Mais pour nous, amoureux des concours, l’annulation des foires a causé beaucoup de déception. Les efforts et le temps consacrés à la préparation des animaux sont partis en fumée. Et les rencontres avec les amis éleveurs nous manquent. Alors nous utilisons beaucoup les appels vidéo pour rester en contact.Mario Gianoglio Ferme Ceresetta, province de Cuneo (Italie)


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