1er mars 1947 : Maquignonnage

Dans les archives de Paysan Breton :

Quand un marchand achète un cheval, il lui trouve tous les défauts : pieds plats, côtes plates, encolure trop longue, vilaine couleur… Quand il revend le même cheval à la foire suivante, c’est un animal sans pareil : il a des pieds modèles, il est facile à nourrir à cause de ses côtes rondes, c’est un crac au labour à cause de son encolure courte et il est d’une robe rare. Nous sommes habitués, nous paysans, à ces maquignonnages et nous ne nous y laissons pas prendre. Il est normal qu’un marchand de chevaux opère de cette façon. Il fait son métier et poursuit un but précis : gagner de l’argent.

Mais il est d’autres maquignonnages auxquels nous sommes moins habitués, et dont il faut nous méfier. Dans notre département des Côtes-du-Nord, lorsqu’il s’est agit, il y a deux ans de refaire du syndicalisme, les cultivateurs se sont divisés en deux clans. Les uns sont allés à la CGA, les autres avaient choisi de faire partie d’une Fédération CGA. C’est alors qu’avec constance, les dirigeants et employés de la Fédération CGA entreprirent une propagande parlée et écrite en faveur de l’Unité. Par des arguments nombreux et sans cesse répétés, ils prouvaient ou tentaient de prouver la supériorité de l’Unité en accusant d’incompréhension, voire presque de sabotage, ceux qui s’entêtaient à rester en dehors du giron d’une organisation syndicale unique.
Bref, cette unité est maintenant réalisée, c’est bien.

Depuis plus de vingt-cinq ans, il existe, dans notre département, presque dans chaque commune, des mutuelles agricoles, accident et incendie qui marchent à la satisfaction de tous les cultivateurs. Le signataire de ces lignes y est assuré depuis 1927. Or, quelle ne fut pas sa stupéfaction de voir arriver l’autre jour dans sa commune toute une équipe de conférenciers dont deux dirigeants notables de CGA.

Qu’allaient dire ces messieurs ? Ils venaient nous demander de créer chez nous de nouvelles mutuelles en nous expliquant, à nous, vieux chevronnés de la mutualité, ce que nous connaissons vingt-cinq ans avant eux. Il faut faire une autre mutuelle parce que tout le monde ne peut aller à celle qui existe…

Et l’unité, alors, cette fameuse unité inviolable, nécessaire et salvatrice qu’en faites-vous ? Ah ! Vous changez votre fusil d’épaule ; vous brûlez ce que vous avez adoré, vous vous apportez vous-même la contradiction sans pudeur et sans honneur. En somme, vous faites du maquignonnage, du triste maquignonnage. Vous vous prenez pour de petits garçons auxquels on dit de ne pas se pencher à la margelle parce qu’il y a une bête dans le puits.

Dans le fond, j’ai compris. Le marchand de chevaux poursuit un but : gagner de l’argent et c’est pour cela qu’il maquignonne. J’ai peur de ne pas me tromper en disant que trop de paysans ou de soi-disant serviteurs des paysans poursuivent des buts plus politiques que professionnels et que c’est pour cela qu’eux aussi maquignonnent.

Le Corvaisier Louis, cultivateur, président de la Mutuelle


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