Le camembert représentant la sole, où chaque part illustre une culture, offre un aperçu clair de la diversification engagée par la Ferme de la Belle Noé à Trémuson (22). « En 6 ans et au fur et à mesure depuis 2019, Edwige Guillon et Sébastien Le Glatin sont passés de 3 cultures et de la prairie à 9 espèces différentes », introduit Marine Weishaar, conseillère en agronomie à la Chambre d’agriculture, lors d’une journée Innov’Action. Trois fois plus de cultures dans les champs donc, avec l’introduction d’espèces variées comme de l’épeautre, du petit épeautre, de la moutarde, du sarrasin, du chanvre ou de la cameline, aux côtés de végétaux plus classiques que sont le colza, le blé tendre d’hiver ou le maïs grain. En plus de cette diversification, l’exploitation, à la base naisseur-engraisseur de porcs, n’a gardé que la partie engraissement, avec 1 200 places.
Le cycle de la cameline est de 100 jours
Ces nouvelles cultures sont transformées sur place. Les éleveurs ont investi 400 000 € entre les travaux et le matériel pour sécher et transformer les céréales en farine ainsi que pour produire de l’huile. « Nous avons réalisé une étude de marché, rencontré des gérants d’épicerie fine ; le débouché local est plus recherché que le bio. Au départ, nous nous sommes renseignés sur des cultures capables d’être cultivées en Bretagne et produisant de l’huile. Le lin graine est une possibilité, mais c’est une conduite difficile qui demande des traitements phytosanitaires. Puis lors d’une visite au Sival à Angers (49), un revendeur de presse Ecoléa nous a fait gouter de l’huile de cameline ». Coup de cœur pour le couple, qui s’est lancé dans la culture de cet oléagineux.
Des IFT divisés par 2
Désormais dans le choix des rotations et quand les parcelles sont à risque de datura, les cultures de printemps sont écartées. Sur les sarrasins, « un drone est systématiquement passé pour détecter la présence de cette plante toxique », détaille Marine Weishaar. Aussi, elle fait remarquer que les indices de fréquence de traitement ont fondu comme neige au soleil. « L’IFT herbicide est passé de 2,24 à 1,19. À titre de comparaison, la référence des fermes bretonnes HVE (Haute valeur environnementale) est à un IFT herbicide de 1,91. La diversification des cultures casse les cycles, certaines comme le sarrasin sont conduites sans phyto ». Autre exemple, celui du chanvre, ici récolté pour ses graines, qui n’a pas besoin de protection fongicide, herbicide ou insecticide, « ni de fertilisation azotée, les reliquats suffisent. Il demande juste d’être vigilant sur la potasse et le calcium ».


Exigence dans la qualité d’implantation
La cameline est une crucifère « très couvrante en son début de cycle, elle est sensible à la structure du sol. Elle demande une très bonne qualité d’implantation, peut être attaquée par des maladies comme la hernie et a des ravageurs tels que l’altise ou le méligèthe, mais est moins attractive que le colza ». Avec son cycle de 100 jours, cette oléagineuse aussi nommée sésame d’Allemagne peut être semée en culture principale ou en dérobée. Les charges opérationnelles (dont mécanisation) s’étalent entre 300 et 550 €/ha, « le prix d’achat de la graine à 360 €/t n’est pas incitatif, il n’y a pas encore de débouché en filières longues », résume Mathieu Euzen, chargé de mission projets alimentaires et filières territoriales à la Chambre d’agriculture. À la Ferme de la Belle Noé, la récolte (entre 10 et 25 q/ha) est pressée à froid, l’huile se décante ensuite 2 semaines en fût. Après filtration, les agriculteurs l’embouteillent à la ferme. Et rien ne se perd : les sons de blé et de sarrasin, les tourteaux sont donnés aux cochons. « Les fonds de cuve d’huile de cameline servent à soigner les petites blessures des cochons, ou pour diminuer les diarrhées des porcelets », observe Edwige Guillon.
Fanch Paranthoën
Repères : 109 ha de SAU ; 27,5 ha de maïs grain ; 23 ha de blé d’hiver ; 12,5 ha de sarrasin ; 10 ha de colza ; 10 ha de chanvre ; 4 ha de cameline ; 4 ha de moutarde ; 4 ha de petit épeautre ; 4 ha d’épeautre ; 10 ha de prairie.
Peu d’informations sur la moutarde
La ferme a semé cette année 1 ha de moutarde, « cela nous suffit pour la transformation » et la confection de pots de ce condiment de table qui monte parfois au nez. Les agriculteurs constatent qu’il est très difficile « d’avoir des conseils techniques sur cette culture, on apprend sur le tas ». Semé à raison de 9 kg par hectare, Sébastien Le Glatin mélange ses graines à de la semoule, afin d’apporter de la matière à ces petites semences. Au niveau mondial, le Canada est le 1er pays producteur avec 250 000 t, suivi du Népal (170 000 t) et de la Russie (75 000 t). La France sème environ 11 000 ha, les rendements espérés se situent entre 10 et 20 q/ha.