- Illustration Aviculture : L’arrêt comme ultime solution
Clémence et Aurélien Drouin ont définitivement fermé les portes des poulaillers en fin d’été 2022.

Aviculture : L’arrêt comme ultime solution

Clémence et Aurélien Drouin sont en procédure de liquidation judiciaire pour leur exploitation avicole. Le résultat d’un cumul de galères avec un sentiment de ne pas avoir été aidés par leur intégrateur.

Après des études dans le domaine de la vente, Clémence Drouin a souhaité s’orienter vers l’agriculture en devenant salariée d’un élevage spécialisé en volaille de chair. « Je suis issue du milieu agricole, ma mère était éleveuse de pondeuses. J’ai rapidement cherché à m’installer d’abord en pondeuses mais les poulaillers disponibles étaient à transformer pour produire de l’œuf alternatif et cela demandait de lourds investissements. »

De bons résultats techniques

Fin 2016, Clémence a eu l’opportunité de reprendre un poulailler de 1 200 m2 situé sur la commune voisine de Gurunhuel (22). Elle était alors âgée de 21 ans. Ce poulailler de type Louisiane était en production de poulet et de dinde car pas adapté pour y élever des poulets l’été. Très vite, elle se rend compte qu’un poulailler ne lui suffit pas pour dégager un revenu. Un an plus tard, elle achète un deuxième poulailler de 1 200 m2 situé sur la commune de Callac et spécialisé en poulet. L’éleveuse s’épanouit dans son nouveau métier et les résultats techniques suivent avec des lots de dinde qui sortent à 29 €/m2 de marge PA (poussin/aliment) et 11 €/m2 en poulet tout-venant (non sexé). De son côté, le mari de Clémence est salarié dans une entreprise de travaux publics qui intervient dans les exploitations avicoles. « À l’époque, la conjoncture est plutôt bonne, je vois pas mal de rénovations de poulaillers se faire et même des constructions de bâtiments neufs. Tout cela m’incite à m’installer à mon tour », explique Aurélien Drouin. L’ancien chauffeur de pelle devient aviculteur en avril 2018 suite à la reprise d’un site de 4 300 m2 composé de 3 poulaillers relativement récents (1998, 2011, 2014) sur la commune de Ploumagoar située à 25 km de son domicile. « J’ai poursuivi avec l’intégrateur en place sur l’élevage. J’ai repris les parts sociales de l’entreprise existante et acheté les bâtiments l’équivalent de 115 €/m2 avec un prévisionnel établi avec l’intégrateur à 10,50 €/m2 de marge PA pour 5,5 lots par an et une densité de 20 poulets au m2. J’envisageais de prélever 2 000 €/mois », confie l’éleveur.

Un essai en Cobb 500 pour 7 €/m2 de marge PA

Sur le site de Ploumagoar, la production est en poulet sexé. L’éleveur indique que, dès le départ, les résultats n’étaient pas au rendez-vous avec moins de 9 €/m2 de marge PA. La densité était autour de 18 ou 19 poulets/m2 au lieu des 20 pris en compte dans le prévisionnel. « Les indices de consommation n’étaient pas bons non plus. Nous avons consulté les techniciens d’élevage, réalisé des analyses d’eau, fait intervenir un géobiologue pour tenter de résoudre le problème, mais rien n’a vraiment marché », déplore le couple. Et Aurélien de poursuivre : « Comme si cela ne suffisait pas, l’intégrateur a décidé de réaliser un essai chez nous avec la souche de poulet Cobb. Ça a été catastrophique avec des problèmes de pattes. Je triais plus de 500 animaux chaque jour, la mortalité a atteint plus de 12 %. Le lot est sorti à 7 €/m2 de marge. »

Un coup de chaleur creuse le trou

En 2019, le site de Ploumagoar subit un coup de chaleur alors que les mâles sont prêts à partir. Résultat : 40 000 morts. « Sur mes 2 poulaillers, je cotise par l’intermédiaire de mon groupement à la caisse coup de chaleur. Mais pour le site de 4 300 m2, ce système n’existe pas chez l’intégrateur. Du coup, nous n’étions pas assurés face à un tel événement. On s’est retrouvé avec un manque à gagner de 30 000 € pour couvrir nos prêts et nos charges. Nous avons contracté un prêt de trésorerie auprès de l’intégrateur pour étaler la dette et pouvoir continuer le métier. » Après un an et demi, le trou était fait et en 2020 Aurélien a pris une activité extérieure. Clémence s’est retrouvée à gérer seule les 6 700 m2 de poulaillers dispersés sur 3 sites. « Je faisais 70 km le matin et pareil le soir pour faire mes rondes. Je ne compte pas les déplacements lorsqu’une alarme sonne. La situation a duré 2 ans », témoigne l’éleveuse, épuisée suite à un burn-out. Mais Clémence ne lâche pas l’affaire. Elle contacte Tell Élevage pour un diagnostic du site de Ploumagoar afin de détecter les failles. « J’ai fait ce qui était le moins coûteux : réglé les trappes d’entrée d’air, étalonné et modifié la hauteur des sondes… Tout cela m’a permis d’améliorer les résultats techniques. »

Des éleveurs écœurés

Clémence pense alors que les choses vont rentrer dans l’ordre. Mais l’intégrateur leur demande d’installer des fenêtres sur tous les poulaillers sous peine de diminuer le nombre de mises en place à l’année. « La banque ne suivait pas, ce qui était normal vu notre situation financière. Dans ce milieu, certains n’ont aucune empathie. On ne savait plus comment s’en sortir. J’ai contacté la Chambre d’agriculture pour avoir des conseils mais pour eux la situation n’était pas assez compliquée pour lancer une procédure. » Sur les conseils d’un de leur proche, Clémence et Aurélien prennent rendez-vous avec Solidarité Paysans. Les chiffres ont été posés sur la table et un nouveau prévisionnel établi. « On s’est rendu compte qu’il fallait arrêter tout de suite et ils nous ont accompagnés pour lancer la procédure de liquidation judiciaire. Malgré notre décision d’arrêter, l’intégrateur nous mettait la pression pour que l’on recharge les poulaillers. Ils se moquent que l’on ne gagne pas notre vie : le dernier bilan fait état de 2 000 € de prélèvements privés sur l’année. Tout ce qu’ils veulent c’est vendre de l’aliment et fournir des poulets à l’abattoir. » Les 2 éleveurs sont écœurés du système d’intégration. « Je suis passionnée par le métier ; je ne sais pas encore ce que je vais faire professionnellement. Maintenant, c’est le liquidateur judiciaire qui gère la vente des 5 poulaillers. Depuis que les autres éleveurs connaissent notre histoire, nous avons des appels téléphoniques car ils sont nombreux à se poser des questions sur un arrêt de la production. Si les intégrateurs ne réagissent pas en considérant mieux les éleveurs et en payant beaucoup mieux nos volailles, j’ai peur que notre cas soit le début d’une longue série. » 

Il n’est jamais trop tôt pour solliciter un accompagnement

À Solidarité Paysans, les bénévoles et les salariés le disent souvent : Il n’est jamais trop tôt pour demander conseil et solliciter un accompagnement. Mais trop souvent les personnes accompagnées témoignent : « Si on avait su, on vous aurait appelé plus tôt ; on pensait qu’on pouvait s’en sortir tout seul ; on n’était pas prêt à demander de l’aide… » Il est important de rappeler à chaque famille d’agriculteurs qui doit faire face à une situation compliquée que plus rapidement vous appelez et plus grandes sont les marges de manœuvre pour trouver des solutions. Les solutions à Solidarité Paysans, on les construit ensemble : personnes accompagnées et accompagnants (binôme salarié/bénévole), dans le respect de la confidentialité et du projet de chacun. Nos équipes accompagnent ainsi plus de 350 familles d’agriculteurs chaque année grâce à l’engagement des 140 bénévoles et l’appui des 10 salariés. Paul Renault, président de Solidarité Paysans


Fermer l'écran superposé de recherche

Rechercher un article