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Marchés économiques et agricoles intimement liés

Face au poids américain sur les cotations des matières premières, chaque pays essaie de grapiller les miettes de l’économie réelle mondiale en jouant avec des artifices financiers.

Les investisseurs jouent de plus en plus la baisse des céréales, malgré des fondamentaux sur la prochaine campagne qui annoncent pour 2015/16, une première baisse des stocks mondiaux depuis trois ans. Mais pour l’heure, c’est un bras de fer entre spéculateurs de court terme et producteurs, qui se joue à Chicago. Depuis mi-mars, les ventes à découvert* des premiers ne cessent de progresser de jour en jour, sur le blé et le maïs. Jusqu’à la semaine dernière, les cotations résistaient, prouvant que la rétention sur le marché physique était plus forte que les flux financiers. Mais les premières fissures apparaissent. Combien de temps ce jeu peut-il durer ? Les contrats à terme en blé et maïs sont en report (l’éloigné vaut plus cher que le rapproché) sur les 12 prochains mois, ce qui permet aux agriculteurs de parier sur l’avenir sereinement. Ils peuvent donc miser sur une météo défavorable cet été sur la Corn Belt, sur des superficies en retrait… ou sur une baisse du dollar ! Cette dernière option pourrait s’avérer la plus intéressante, et permettrait mécaniquement de propulser les prix des matières premières vers le haut. Car la force ou la faiblesse du billet vert, devise dans laquelle est cotée la majorité des matières premières, impacte directement et mécaniquement les cours de celles-ci. Ainsi, la hausse du dollar Index** de 81 à 100 (+23 %) de juillet 2014 à mars 2015 (au plus haut depuis onze ans et demi), a été une des raisons non négligeable du recul des cotations de blé (-20 %) ou de maïs (-20 %) à Chicago sur cette même période.

Promouvoir ses exportations via le taux de change ou l’inflation

S’il ne faut pas reléguer les fondamentaux agricoles en deuxième division, il convient cependant de décrypter les marchés monétaires pour essayer d’améliorer notre visibilité sur l’évolution des cours mondiaux des céréales. Il y a encore quelques semaines, de nombreux observateurs misaient sur un retour à la parité de l’euro face au dollar. Pourtant, la devise européenne a rebondi de 7 % depuis deux mois. Dans un monde où la croissance est trop faible par rapport aux fardeaux de la dette, une guerre monétaire mondiale a éclaté en 2010. Chaque pays essaie de grappiller les miettes de l’économie réelle mondiale, en essayant via un taux de change, de promouvoir ses exportations, ou encore d’importer de l’inflation.

Hausse du dollar et effondrement du pétrole

D’ailleurs, plus qu’à une baisse de l’euro, nous avons surtout assisté à une hausse du dollar ces derniers mois. Depuis l’annonce de la fin du « Quantitative Easing » par la banque centrale américaine, les capitaux affluent aux États-Unis et quittent les autres pays, en partie du fait de la perspective d’une croissance plus forte et de taux plus élevés. Cela a renforcé le dollar. À l’automne dernier, la tendance s’est accélérée avec l’effondrement du pétrole. Les manœuvres de l’Arabie Saoudite pour affaiblir ses concurrents ont entraîné de nombreux mouvements de fonds sur les marchés à terme et financiers. La liquidation des positions par les intervenants longs de pétrole a nécessité un fort besoin en dollar, poussant celui-ci vers le haut contre toutes les autres devises et pas seulement l’euro.
Aujourd’hui, les investisseurs sont déjà tous « longs » de dollars dans la perspective d’une remontée des taux américains. Cependant, le renchérissement du billet vert est déjà équivalent à une énorme hausse des taux d’intérêt et freine l’expansion économique. La Fed d’Atlanta, dont les chiffres et prévisions sont les plus justes du marché, ne mise pas sur plus de 0,1 % de croissance annualisée du PIB américain quand la fourchette du consensus s’étale de 1 à 2,5 %. Aujourd’hui, les États-Unis sont un importateur net. Ils achètent plus de l’étranger qu’ils ne vendent. Si les États-Unis abaissaient le taux de change du dollar, ils importeraient de l’inflation, ce qui est exactement ce que souhaite la Fed avec son objectif de 2 % (dont elle est très loin !). Rappelons que l’inflation permet de monétiser (c’est-à-dire de volatiliser) la dette…
Il faut donc suivre de près les flux financiers dans les prochains mois (5 300 milliards de dollars sont échangés chaque jour sur le marché à terme des devises, le Forex). C’est une partie importante de l’équation de nos marchés agricoles.
 Patricia Le Cadre, Céréopa, www.vigie-mp.com

* Vendre à découvert signifie vendre un contrat qu’on ne détient pas dans l’intention de le racheter moins cher ensuite. C’est un pari à la baisse.
** Le dollar index rend compte de l’évolution du billet vert face à un panier de six devises (euro, yen, livre sterling, dollar canadien, franc suisse et couronne suédoise).

l’euro, la partie émergée de nos exportations de blé

L’euro n’a pas été le seul à baisser ces derniers mois. Une trentaine de banques centrales, de par le monde, s’appliquent en effet à détruire la valeur de leur devise. L’euro n’a ainsi guère gagné en compétitivité face au real brésilien, au peso argentin, aux monnaies asiatiques, à la livre turque, et autre rouble. Contrairement aux idées reçues, nous plaçons correctement notre blé français à l’exportation moins grâce à l’aide de l’euro… que parce que la qualité du blé américain est défectueuse (mycotoxines), que le fret est bas, et que les origines Mer Noire doivent arbitrer l’inflation et ne vendent plus qu’avec parcimonie depuis le début de l’année.


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