Gagner sa vie en lait sans être débordé

David Perros mise sur la cohérence de son système pour bien vivre « son » métier et bien vivre « de » son métier d’éleveur de Jersiaises conduites en bio. Son parcours de stages en élevage laitier qui l’a conduit à découvrir une quinzaine d’exploitations aurait pu dissuader David Perros de s’installer. « Il faut reconnaître que l’ambiance générale n’est pas toujours de nature à motiver un jeune. Avec raison souvent : trop d’exploitations laitières dégagent trop peu de revenu et trop d’éleveurs sont écrasés sous la charge de travail », a pu observer le jeune trentenaire au cours de sa formation agricole. De cela, il n’en voulait pas. Mais un rayon de lumière finit toujours par percer. « Grâce à Xavier Guivarc’h, enseignant à la Maison familiale de Ploudaniel, j’ai eu la chance de réaliser un stage chez Guylène et Gilbert Tromeur, à Collorec ; des éleveurs qui ont beaucoup travaillé sur le trio : système, conditions de travail et revenu ». Et puis il y a eu cette phrase de Gilbert, le maître de stage : « Tu peux gagner ta vie en lait ». Une parole qui va faire son chemin chez l’étudiant de BTS qui s’en ira aussi voir ailleurs pendant un an et demi : en Australie à deux reprises, avant de revenir les idées claires dans le Nord-Finistère. « Pour moi, l’installation c’était forcément en bio. C’était forcément à dimension humaine pour préserver la vie de famille et être en harmonie avec la société », cadre le jeune agriculteur. Préparer le terrain de l’installation En parallèle, les parents de David, Maurice et Sabine Perros, préparent le terrain pour une installation qui correspond aux « valeurs » de la famille. Les deux premières Jersiaises arrivent sur l’élevage en 2010. Suite au stage réalisé par David à Collorec, un autre lot de 10 génisses en provenance du Danemark, réputé pour sa sélection sur la rusticité et les taux, débarque sur l’élevage. « Puis nous avons acheté douze autres à mon installation en 2018 », énumère l’éleveur. Et de préciser que, d’emblée, l’EARL a fait le choix de la haute génétique : « Toutes les femelles sont génotypées. Notre lot de génisses nées en 2021 affiche une moyenne NTM de 7,8 contre 3,7 pour l’ensemble des génisses nées en 2021, ce qui nous place 7e sur le classement Jersiais France. » Sur le plan fourrager aussi les parents de David modifient progressivement leurs pratiques en donnant plus de place à l’herbe. Une orientation rendue possible, entre autres, grâce à l’enrubannage. En parallèle, la famille Perros explore le binage du maïs. Ce cheminement sur deux tableaux – changement de race et assolement – a abouti à une structure compatible avec la conversion bio, finalisée en 2020. Parcellaire accessible Aujourd’hui, la Jersiaise représente 90 % du troupeau qui était préalablement en Holstein. « La race est rustique, bien adaptée à notre système. C’est une fourragère. La vache est légère, ce qui permet un pâturage même en conditions humides – pas trop quand même – », modère le jeune éleveur qui mise sur son parcellaire groupé accessible de 26 ha pour maximiser la valorisation de l’herbe pâturée. Les parcelles sont désormais desservies par des chemins stabilisés de 3 m de large (la terre arable a été enlevée sur 40 cm et remplacée partiellement par une couche de 0-20). « Avec cette desserte, une personne seule peut sortir et rentrer les vaches. Il y a juste un chemin communal à traverser : je le bloque le temps du passage des vaches qui ne prend pas plus de temps qu’un feu rouge en ville. » Beaucoup d’enrubannage Avec une découpe standard du parcellaire – une parcelle = 1 jour, soit 70 - 80 ares – la conduite de l’herbe se gère avec le principe simple de « jours d’avance » de pâturage. « Je n’ai pas d’herbomètre. En fonction de l’avancement, je sais s’il faut débrayer pour faucher ou pas. C’est sûr que c’est plus de gymnastique qu’avec du maïs, mais je trouve cela plus plaisant », commente David Perros qui s’interroge cependant sur l’opportunité de continuer l’enrubannage à si grande échelle. « Nous faisons environ 500 enrubannés par an, mais vu l’augmentation du coût avec le prix du plastique et de l’énergie… », explique-t-il, tout en reconnaissant la souplesse de cette technique et la qualité du fourrage qui en découle. Pour autant l’enrubannage reste un pilier du système fourrager. « Il remplace le pâturage en hiver, complété par du maïs ensilage et 1,5 à 2 kg MS de racine d’endive », détaille l’éleveur en précisant qu’à la période de vêlage à l’automne (lire ci-dessous) « le pâturage est complété de 5 kg MS de maïs ensilage ». Une vache à taux Cette conduite alimentaire du troupeau permet une production annuelle de 454 000 L. Avec une production individuelle (autour 5 500 kg / VL / an) sans conteste en retrait par rapport à la Prim’Holstein d’avant. Mais avec une différence sur les taux (payé + 5 € / point pour le TB et + 7 € / point pour le TP) – « Ce mois-ci, nous avons perçu + 70 € / 1 000 L pour le TP qui était à 42 » – tout cela avec une consommation par vache nettement inférieure : « Une Jersiaise ne consomme pas plus de 17 ou 18 kg MS / jour, soit près d'un quart de moins qu’une laitière de grand format. Ce qui nous permet d’alléger notre bilan fourrager et d’être plus souple en cas de sécheresse. » Tout cela sans nuire à la longévité : « Une vache fait 4 ou 5 lactations en moyenne chez nous. » Bovins et cultures complémentaires En bio, plus qu’en conventionnel encore, élevage et cultures sont fortement complémentaires. À l’EARL Kerfreoc, les prairies destinées à la fauche reçoivent du lisier épandu avec une tonne à disques. « Nous avons la chance d’avoir une ETA bien équipée – ETA des Abers –. Cette technique d’épandage permet de valoriser au mieux l’azote tout en évitant les éventuelles nuisances au voisinage ». Les prairies pâturées reçoivent du fumier vieilli en automne-début hiver après le dernier passage des vaches. Intégré dans la rotation, le maïs (12 ha) bénéficie pleinement des arrière-effets des prairies. « Si on réussit le désherbage, c’est gagné », estime David Perros qui décline sa façon de faire : « labour suivi d’un passage de herse rotative ; faux-semis ; herse rotative suivie du semis ; 2 passages de herse étrille en croisé ; 3 passages de bineuse ».

Gagner sa vie en lait sans être débordé

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