lait-USA - Illustration Le lait américain n’a pas vu la crise

Le lait américain n’a pas vu la crise

Depuis trois ans et demi, le prix du lait américain à la ferme est supérieur à celui pratiqué en Europe. C’est nouveau.

Sur les 15 dernières années, le prix du lait payé aux producteurs aux États-Unis n’a été supérieur à celui pratiqué dans l’Union européenne qu’à de très rares occasions (2004, 2007, 2012) sur des périodes de quelques mois. Mais la tendance s’est inversée : depuis 2014, le prix américain est toujours meilleur qu’en Europe. Quant aux cours néo-zélandais, historiquement décrochés, ils sont aujourd’hui reconnectés à ceux de l’UE « suite à une remontée spectaculaire depuis quelques mois ».

Alors qu’en Europe, les exploitations souffrent depuis 2014, « les Américains n’ont pas connu la crise », simplifie Frédéric Courleux du think tank Momagri. Pourtant reliés au même fameux marché mondial, pourquoi les bassins laitiers ne vivent-ils pas la même réalité ? « D’abord, grâce au système des Milk marketing orders (MMO), vieux de 80 ans, le partage de la valeur ajoutée entre producteurs et transformateurs américains est plus juste et efficace. Cette organisation du marché intérieur assure une valorisation de base à la filière qui permet de faire moins peser la volatilité internationale sur les élevages », explique l’économiste.

Aux États-Unis, le lait est payé à un même niveau aux éleveurs d’un même bassin (3 ou 4 états), les transformateurs aux meilleurs mix produits cotisant pour ceux placés sur des créneaux moins valorisants. D’une certaine manière, on opère ainsi une mutualisation telle qu’elle s’organise au sein d’une coopérative géante (comme au Danemark, aux Pays-Bas ou en Nouvelle-Zélande).

Le beurre, locomotive d’un marché intérieur fort

Mélanie Richard, chef de projet conjoncture laitière à l’Institut de l’élevage, précise que les États-Unis ont tout de même connu une baisse de prix en 2015, « mais entre deux périodes favorables qui ont duré ». Pour elle aussi, l’explication d’un prix du lait américain beaucoup plus dynamique est à chercher en priorité dans le marché intérieur. « Comme l’Europe, c’est un énorme marché de consommation. Mais là-bas, il est porté par une croissance démographique plus soutenue. Depuis une dizaine d’années, il a également retrouvé beaucoup de dynamisme à travers la réhabilitation de la matière grasse laitière sur le plan nutritionnel suite à la publication de plusieurs études scientifiques. »

On constate dans l’analyse des achats de détail que les Américains se sont remis peu à peu à manger du beurre plutôt que de la margarine. Des transformateurs ou des chaînes de restauration comme McDonald’s ont réintroduit le beurre dans leurs recettes ou leur petit déjeuner. « Cette assise du marché intérieur aide à déconnecter le prix du lait américain du prix international. Sans oublier que les droits de douane élevés limitent les importations même quand le marché mondial baisse fortement », précise Mélanie Richard. Aujourd’hui, à l’international, les États-Unis ont même tendance à reprendre des parts de marché.

L’argument de la baisse des prix mondiaux profite aux acheteurs de lait.

L’Europe, elle, a semblé se noyer dans l’explosion de sa production à la sortie des quotas. « Une fois la bride lâchée, elle a exporté plus et gagné des parts de marché à l’international en coulant les prix. Prendre des positions qui se traduisent par de la destruction de valeur et une baisse des cours sur le marché domestique est une stratégie de courte vue », analyse, sans concession, un observateur. Alors qu’aux Etats-Unis, les volumes, non encadrés, progressent d’en moyenne 1,6 % par an sur la dernière décennie.

La boussole faussée des marchés mondiaux

Pour Frédéric Courleux, l’Europe doit diminuer son exposition aux aléas internationaux par une meilleure organisation économique, y compris en s’inspirant des États-Unis. « D’ailleurs, le prix mondial n’existe pas. Il y a un prix des transactions internationales basé sur l’enchère de la coopérative néo-zélandaise Fonterra qui ne concerne pourtant que 1,1 % de la production mondiale. Pas de raison donc que ce prix contamine tous les segments de production, surtout quand il s’agit de produits frais où la régularité de la collecte s’impose. La baisse des prix internationaux est un argument utilisé de manière excessive dans les relations commerciales…»

Mélanie Richard ajoute que cette enchère, seule véritable référence internationale, concerne des commodités vraiment standards pour des volumes de plus en plus restreints. « De plus en plus de voix s’élèvent pour dire que ce n’est pas un bon indicateur. »

Vers une hausse du prix du lait ?

Après plusieurs mois de baisse, la collecte laitière dans les deux principaux bassins exportateurs, la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne, est de nouveau en expansion sur les mois de mars et d’avril 2017, comparativement à l’année précédente. Ce revirement reste néanmoins à confirmer. En parallèle, la demande mondiale en produits laitiers se montre actuellement très dynamique. Les exportations européennes de poudre de lait écrémé et de fromages ont sensiblement progressé sur les 4 premiers mois de 2017 par rapport à 2016. La remontée des cours des produits industriels et le dynamisme des marchés internationaux devraient induire une hausse du prix du lait à la ferme au cours des prochains mois.Benoit Rouyer, Economiste au Cniel


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