porc - Illustration Le défi de l’installation en porc

Le défi de l’installation en porc

Le nombre d’installations a baissé en 2014. Aucune reprise n’a été enregistrée en Morbihan. Une première pour un département breton. En 2015, la tendance semble toujours à la baisse. Le coût global (reprise et investissements de remise à niveau) et la conjoncture en sont probablement responsables. Certains groupements garantissent un niveau de prix pour les premières années après l’installation. D’autres accompagnent les éleveurs après qu’ils ont passé des tests d’aptitude à gérer une entreprise, comme pour le recrutement de cadres. Les fonds d’investissement font leur apparition dans le secteur de l’élevage après s’être ancrés dans le domaine viticole. Les jeunes sont encadrés. C’est aussi grâce à cela qu’ils sont résolument optimistes pour leur avenir. Ils s’installent sur la ferme familiale, après tiers, s’associent à des éleveurs en reprenant  des parts sociales… Ils témoignent de leurs expériences dans les pages qui suivent.

Bernard Laurent[nextpage title=”Un chèque de 646 000 € à l’installation en 2014″]

Les installations spécialisées en production porcine sont à la baisse. 28 jeunes se sont lancés dans le métier en 2014. C’est le niveau le plus bas depuis 15 ans.

L’an dernier, les jeunes installés ont repris des élevages de 174 truies, en moyenne, pour un coût total (reprise et investissements de remise à niveau) de 646 000 euros. Les deux années précédentes, ce montant dépassait 1 100 000 euros pour des élevages de 206 truies, en moyenne. Globalement, le coût de la reprise est sensiblement équivalent à celui des investissements de remise à niveau. Dans ce total, le foncier acheté ne représente que 4 % en 2014 (2 % seulement les années précédentes). Les jeunes s’installent, en moyenne, à 29 ans. 22 % sont des femmes. 37 % ont une formation de niveau BTS et plus. 18 % des jeunes s’installent en individuel.

Les aides auxquelles ils peuvent prétendre, s’ils ont moins de 40 ans, sont la DJA, de 9 000 à 24 000 euros, les prêts JA et des déductions fiscales : exonération de l’impôt sur le bénéfice en première année, 50 % de déduction les deux années suivantes. Le projet doit assurer un revenu ne dépassant pas 3 smic par associé sur une moyenne de 5 ans. Aucune aide n’est accordée si l’élevage dépasse 400 truies naisseur engraisseur. Le syndicat majoritaire demande la révision de ce plafond. Le contrat de parrainage à l’installation est possible pour des reprises après tiers. « L’objectif est d’améliorer ses connaissances de l’exploitation avant de se lancer et de tester une éventuelle association », indique Marie-Isabelle Le Bars, animatrice Odasea de Bretagne. « La durée est de 3 à 12 mois, avec une rémunération de l’État (652 €) ou de Pôle emploi ».[nextpage title=”Il reprend deux élevages pour s’installer”]

De deux élevages partiellement vétustes, Jérémy Mainguy en a fait un seul, de 200 truies, avec une surface de terres assurant l’indépendance en céréales. Il s’est installé en 2013.

Jérémy Mainguy souhaitait s’installer sur la ferme de ses beaux-parents à Caro. Il s’y était préparé en travaillant comme salarié en élevage après l’obtention d’un BPREA porc, au centre de formation de Kérel (56). Les simulations économiques réalisées avec 150 truies montrent une fragilité de l’installation, compte tenu du montant des investissements de rénovation à prévoir et du manque de foncier pour assurer une relative indépendance alimentaire. « C’est par l’intermédiaire du groupement Triskalia que j’ai appris la vente d’un élevage de 120 truies sur la commune voisine de Tréal. J’attendais cette opportunité pour franchir le cap ».

Les cédants (départ en retraite) souhaitaient transmettre à un jeune. « Le courant est bien passé. La transaction s’est faite d’autant plus rapidement que j’ai proposé un poste à mi-temps à la cédante, plus jeune que son mari ». L’estimation de la reprise et des investissements de remise à niveau et le montage juridique du dossier ont été réalisés par les services du groupement Triskalia. La partie naissage a été aménagée sur le site de Caro. Les engraissements sont à Tréal, à 2 kilomètres.

À Caro, la maternité a été construite à neuf. La verraterie existante a été conservée. La gestante (petits lots en bat-flancs) a été aménagée dans un bâtiment existant. Les post-sevrages ont été rénovés. L’équipement « soupe » est neuf. À Tréal, la partie truie a été convertie en places d’engraissement. « J’ai opté pour une conduite en 4 bandes qui correspondait bien à la structure des bâtiments et qui permet de libérer du temps pour les travaux de culture ».

[caption id=”attachment_2382″ align=”aligncenter” width=”300″]Aurélien Amiaux, Jérémy Mainguy, et Jean-Yves Jouanno du groupement Triskalia devant la maternité neuve. Aurélien Amiaux (à gauche), technicien, Jérémy Mainguy et Jean-Yves Jouanno, technicien du groupement Triskalia devant la maternité neuve.[/caption]

Une centaine d’hectares

Tous les travaux, à l’exception des récoltes, sont effectués par l’éleveur et ses salariés (2,5 UTH). Le foncier (plus d’une centaine d’hectares cultivables) est en location. Les deux sites étaient équipés de fabriques. « Elles étaient vétustes et ne fonctionnent plus actuellement. Je vais investir dans une Faf partielle pour produire les aliments truies et charcutiers ». Deux silos tours, achetés d’occasion, porteront la capacité de stockage du maïs à 1 000 tonnes. Le blé sera stocké dans des cellules intérieures existantes.

[caption id=”attachment_2383″ align=”aligncenter” width=”300″]Comparaison prix nouvel investisseur et prix du marché Comparaison prix nouvel investisseur et prix du marché[/caption]

Repeuplement des élevages

À son installation en 2013, l’élevage de Caro a été entièrement dépeuplé puis repeuplé pour améliorer le statut sanitaire. « Les premières cochettes sont arrivées en mai 2013 (4 lots de 50 Youna, au total). Après le peuplement de la partie naissage, j’ai vidé l’élevage de Tréal et réaménagé le site. Les premières ventes de charcutiers ont eu lieu en avril 2014. L’opération n’est pas sans conséquence au niveau du besoin de trésorerie au départ mais elle est bénéfique à terme ». Les résultats techniques sont conformes aux prévisions : 12,5 porcelets sevrés par portée en moyenne, avec un troupeau jeune et un âge à 115 kg de 175 jours. L’éleveur bénéficie du contrat nouvel investisseur de Triskalia, proposé à tous les jeunes installés, qui prévoit en mesure principale une garantie de prix, en fonction du coût de production, sur les cinq premières années. À court ou moyen terme, il envisage de produire du porc label rouge Opale pour mieux valoriser ses produits. « Le calcul reste à faire », avoue-t-il. Un de plus….

Bernard Laurent

Un filet de sécurité

Philippe Le Vannier, responsable transaction, a supervisé le processus de négociation et d’installation en collaboration avec le centre comptable et la banque. « Le contrat nouvel investisseur est un véritable filet de sécurité très utile en cette période de crise. Ce contrat, proposé depuis 1984, a permis à plus de 400 jeunes d’en bénéficier. Triskalia prend le risque conjoncturel des 5 premières années d’installation ; le jeune peut donc se concentrer sur les critères techniques afin de réaliser au plus vite ses objectifs. Nous faisons le point tous les ans en début d’année avec lui pour évaluer sa situation et apporter si nécessaire les correctifs dans un plan d’action ». Sur la période 2011-2015, le prix moyen « nouvel investisseur » est de 1,379 €/kg contre 1,349 € pour le prix de marché. Depuis le début de l’année 2015, la différence est de 0,12 €/kg entre ces deux prix, à l’avantage des jeunes installés. 

[nextpage title=”Une installation en reprenant 50 % des parts sociales”]

Ce choix a permis à Mickaël Ollivier une installation moins onéreuse. Et pour le producteur en place, le projet apporte de la valeur à l’exploitation et permet de partager les responsabilités.

Avant de s’installer, Mickaël Ollivier a visité quelques exploitations à reprendre en individuel, ce qui était son objectif au départ. Mais son choix s’est orienté vers une autre solution, suite à la découverte de l’exploitation de Jean-Marc Nicolas (200 truies naisseur engraisseur sur une SAU de 120 ha) qui cherchait un associé. « Le site, la personne, les performances technico-économiques m’ont plu », commence Mickaël Ollivier, âgé aujourd’hui de 36 ans.

Stabiliser l’emploi

Jean-Marc Nicolas s’est installé en 1987 à Kergrist sur un élevage de 100 truies naisseur engraisseur qu’il a conduit seul jusqu’en 2000. Les treize années suivantes, un salarié travaillait dans l’élevage. « Il fallait quelqu’un d’autonome car je déléguais une grosse partie des activités porcines et m’occupais davantage des cultures », explique l’éleveur. Plusieurs salariés qui restaient quelques années se sont succédé, mais leurs projets de vie ou de travail les faisaient aller vers d’autres horizons. « Courant 2012, en lien avec mon groupement Porc Armor, je me suis posé la question de l’association, pour stabiliser l’emploi, mais aussi pour développer l’élevage. »

Après un an de discussions, avec tous les chiffres mis sur la table remontant jusqu’à 4 à 5 bilans, Mickaël Ollivier s’installe sur l’exploitation début 2014. Il rachète 50 % des parts sociales de la société existante qui change de nom pour devenir l’EARL de Gazécan. Les terres sont louées à l’EARL. « Nous nous sommes basés sur la valeur économique qui a été chiffrée en lien avec le service projet de Porc Armor et le centre de gestion. J’ai aussi réalisé un PDE (Plan de développement de l’exploitation) avec la Chambre d’agriculture, sur 21 heures », détaille Mickaël Ollivier qui a bénéficié d’aides JA, du Département, de la Communauté de communes et du groupement.

Belle expérience avant l’installation

Après avoir décroché un Bac STAE, puis un BTS PA (productions animales), avec des stages en exploitations porcines, Mickaël Ollivier a travaillé comme salarié sur un élevage de 400 truies NE de 2001 à 2006. De 2006 à 2013, il était chef d’élevage dans une maternité collective. « Depuis longtemps, j’avais en tête de m’installer, pour pouvoir mener mes propres projets, pour travailler pour moi », souligne l’éleveur.

Un projet d’agrandissement

Dès le début, le projet vise un agrandissement de l’élevage. « Le but est de passer à 300 truies naisseur engraisseur. Nous allons rénover le post-sevrage, agrandir le bâtiment gestantes, créer une maternité et un engraissement neuf », précisent les producteurs qui vont également embaucher un salarié pour travailler sur l’élevage. « Nous serons plus à l’aise au niveau travail. Les travaux sur cultures ne sont pas délégués, sauf l’épandage de lisier. » D’ores et déjà, un investissement a été réalisé dans une cellule à blé en 2015, complétant le silo tour pour maïs grain inerté acquis en 2009. « Nous souhaitons développer l’autonomie. »

[caption id=”attachment_2387″ align=”aligncenter” width=”300″]Jean-Marc Nicolas (à gauche) et Mickaël Ollivier Jean-Marc Nicolas (à gauche) et Mickaël Ollivier, sur le site de Gazécan à Kergrist.[/caption]

Ce modèle d’installation satisfait les deux parties. Pour le jeune, cela permet de débloquer moins de financement au départ. Pour le producteur en place, le projet ouvre de nouvelles perspectives, apporte de la valeur à l’élevage, permet de conserver la performance. Sans compter le partage des responsabilités. « Sur la partie élevage, Mickaël prend les décisions quotidiennes. Je m’occupe de la partie cultures. Nous travaillons ensemble pour certains travaux. Et nous décidons à deux pour les grandes orientations financières. Par ailleurs, nous prenons un week-end sur deux », note Jean-Marc Nicolas, âgé aujourd’hui de 51 ans, qui voit aussi sa transmission (même lointaine) plus sereinement.

Agnès Cussonneau[nextpage title=”Estimer de manière objective les bâtiments”]

Une étude menée par les Chambres d’agriculture sur l’installation et la transmission, en 2012, auprès de 90 installés depuis moins de 5 ans, montre que 40 % des jeunes témoignent de la difficulté à s’accorder sur le prix de reprise (constitué à 70 % par la valeur des bâtiments). Suite à ce constat, la Chambre d’agriculture de Bretagne et Aveltis ont mis en place une méthode d’évaluation patrimoniale objective des bâtiments, disponible depuis deux ans.

Ce nouvel outil s’est inspiré d’une méthode déjà existante en volaille. Le bâtiment à évaluer est décomposé en sept postes (agencement intérieur, alimentation et distribution, caillebotis, ventilation et électricité, charpente, couverture et isolation, élévation et soubassement) auxquels on attribue deux cœfficients. Le premier est fonction de l’âge et d’une durée de vie potentielle (coefficient de vétusté), le second est lié à l’état du poste constaté par l’évaluateur (cœfficient d’usage). Ces cœfficients, affectés au coût de construction des porcheries au moment de l’estimation, proposent une valeur résiduelle au bâtiment ancien, en tenant compte des rénovations, de la qualité des matériaux utilisés ou de son entretien. Elle peut servir de base à la négociation entre le cédant et le repreneur. Mais centrée uniquement sur l’évaluation technique du bâtiment, elle exclut la valeur productivité de l’élevage : elle est donc à compléter par une évaluation économique qui intègre la rentabilité de l’outil.[nextpage title=”Le paramètre humain jaugé avant de s’installer”]
Aveltis innove en permettant aux futurs éleveurs d’évaluer leurs capacités humaines à pouvoir mener à bien leur projet, en plus des aspects techniques, économiques et financiers. La démarche vient d’être expérimentée par Mathieu Thomas qui s’installe.

« Ce bilan m’a permis de faire ressortir ma personnalité, de mieux me connaître », commente Mathieu Thomas, 23 ans, qui reprend un élevage de 120 truies naisseur engraisseur sur la commune de Trévérec (22). Le jeune homme est le premier à avoir réalisé le bilan d’aptitudes et de personnalité mis en place par le groupement Aveltis et conduit par le cabinet Kervadec (conseil en ressources humaines – recrutement), pendant une demi-journée début juin. Cette démarche volontaire comprend des tests psychotechniques, un questionnaire de personnalité et un entretien pour échanger sur les résultats.

[caption id=”attachment_2388″ align=”aligncenter” width=”300″]Catherine Brillouet, dirigeante du cabinet Kervadec en compagnie de Mathieu Thomas « Le bilan d’aptitudes et de personnalité se déroule sur une demi-journée », explique Catherine Brillouet, dirigeante du cabinet Kervadec, ici en compagnie de Mathieu Thomas.[/caption]

Faire ressortir les atouts et contraintes

« Les tests sont comparables à ceux que nous réalisons dans le cadre d’embauches en CDI de cadres à responsabilités. Nous aidons la personne à porter un regard sur soi, en revenant sur le parcours de formation et professionnel. Nous essayons de mettre en relief la motivation pour le projet, les atouts et con-traintes, les appréhensions… Nous invitons également le futur producteur à bien déterminer son rôle sur l’exploitation, à se projeter sur 5 à 10 ans », explique Catherine Brillouet, dirigeante du cabinet Kervadec.

Avant de s’installer, Mathieu Thomas a obtenu un Bac STAV, un BTS PA (productions animales), suivi d’une licence Management d’entreprise agricole. Il a ensuite travaillé pendant deux ans en tant que salarié d’un groupement d’employeurs (en porc). Au travers du bilan humain, le jeune homme a pu confirmer sa capacité à travailler seul, son envie d’entreprendre, de réussir, de pouvoir décider. Une certaine sérénité ressort aussi de son profil, bienvenue pour pouvoir gérer les situations de stress courantes chez les agriculteurs.

Du côté des points à améliorer, Mathieu Thomas devra s’affirmer davantage. « En tant que groupement, nous pouvons l’aider. Cette approche humaine est intéressante pour que la personne qui s’installe puisse mettre toutes les chances de son côté. Pour éviter qu’on en arrive à des situations difficiles », ajoute Philippe Le Goux, responsable information et communication Aveltis.

Reprise des bâtiments, puis de terres

Le projet d’installation de Mathieu Thomas prévoit de rapatrier les truies sur l’exploitation tenue par son père, à Saint-Clet, à 7 km du site de Trévérec équipé d’une Faf, où les porcs seront engraissés. Il reprend dans un premier temps les bâtiments d’élevage au cédant qui a 55 ans. Dans quelques années, il pourra aussi disposer des 70 ha de terres. « Cela permet d’étaler la reprise, sur les plans travail et financier », note le jeune homme, précisant que « le producteur avait la volonté de transmettre. » Les deux structures réunies élèveront 220 truies en naisseur engraisseur, avec un SAU totale de 150 ha.

Capacité à s’impliquer régulièrement

« Les capacités d’adaptation, à s’impliquer régulièrement, se remotiver, sont des atouts pour les chefs d’exploitations porcines. Ils doivent garder les yeux ouverts, observer ce qui se passe ailleurs. » Dans cet objectif, le groupement a mis en place un groupe de jeunes en 2010 qui se réunissent 6 à 7 fois par an pour des rencontres techniques, de formation, d’ouverture ou conviviales. Une soixantaine de producteurs de moins de 40 ans participent à ce réseau. Mathieu Thomas devrait les rejoindre.

« S’installer est devenu complexe. Nous accompagnons les jeunes dans la définition de leur projet, l’évaluation de l’exploitation à reprendre, la conformité environnementale, la technique et le sanitaire, la mesure de la rentabilité et le financement. Le facteur humain, essentiel, s’ajoute aujourd’hui », souligne Séverine Fraval, en charge du dossier installation / transmission.

Agnès Cussonneau[nextpage title=”2 millions d’euros”]

Yann et Adeline Jouan ont déjà investi 2 millions d’euros en 5 ans entre le rachat de l’élevage et sa modernisation.

Yann Jouan a toujours eu comme objectif de s’installer. Originaire des Côtes d’Armor et non issu du milieu agricole, il part faire 2 ans de prépa vétérinaire, en Belgique après son bac. « Avec ma femme Adeline, rencontrée en prépa vétérinaire, nous avons souhaité revenir en Bretagne pour passer un BTS productions animales nous permettant de reprendre une exploitation. » Tous les deux ont ensuite pris de l’expérience en tant que salariés en élevage porcin. Ils se sont installés en 2010, à l’âge de 24 ans en reprenant une exploitation à Bignan (56). « Afin d’arrêter notre choix, nous avons visité environ 10 élevages en Bretagne. Nous avions des critères assez précis, plus de 400 truies, une FAF, du lien au sol et une station de traitement du lisier », confie l’éleveur.

[caption id=”attachment_2390″ align=”aligncenter” width=”300″]Yann Jouan, éleveur de porcs à Bignan (56). Yann Jouan, éleveur de porcs à Bignan (56).[/caption]

120 ha en location

Yann Jouan explique avoir repris cet élevage grâce à une banque qui leur a fait confiance, car le couple n’avait pas d’apport personnel. « Le montant de la reprise était de 800 000 €, auxquels nous avons ajouté 400 000 € pour refaire une station de traitement du lisier, car l’existante ne fonctionnait pas. Nous en avons profité pour créer un bâtiment pour un montant de 250 000 € nous permettant de ramener les 700 places d’engraissement qui étaient à l’extérieur. » Il conseille de maîtriser son dossier avant de se présenter chez les banquiers. « Il faut une vision claire de ce que l’on veut et des projets à développer sur 15 à 20 ans. » 5 ans après leur installation, les jeunes éleveurs poursuivent leurs investissements : la nouvelle FAF (550 000 €) sort tout juste de terre. Elle est dimensionnée pour 750 truies, c’est l’objectif pour les 5 ans à venir. « Nous sortirons alors autour de 19 000 charcutiers par an. »

Si l’installation ne s’est pas faite avec Aveltis, très vite les jeunes éleveurs ont souhaité rejoindre le groupement qu’ils connaissaient de par leurs expériences de salariés.  « J’apprécie les groupes d’échanges techniques, le groupe jeune, les formations, les forums. On visite d’autres élevages, on échange, on en ressort toujours avec des idées à développer sur notre élevage », conclut l’éleveur.

Nicolas Goualan[nextpage title=”Dans une demande de financement, le banquier évalue d’abord l’homme”]

Karim Ganaï, responsable Marchés agricoles au Crédit mutuel de Bretagne, explique comment les dossiers d’installation sont évalués par la banque et souligne l’importance d’une bonne présentation par le porteur de projet.

[caption id=”attachment_2393″ align=”aligncenter” width=”300″]Karim Ganaï, responsable Marchés agricoles au CMB. Karim Ganaï, responsable Marchés agricoles au CMB.[/caption]

Qu’est-ce qui fait la différence à l’heure de choisir de soutenir ou non une installation ?

Lorsque nous analysons un dossier de financement, le plus important est le porteur de projet. En fait si je devais le chiffrer je dirais que cela représente plus de la moitié du poids de l’évaluation… Si vous donnez une bonne affaire à quelqu’un qui n’a pas les épaules pour être un bon gestionnaire et manager, cela ne marchera pas. Alors qu’une personne préparée et performante saura tirer son épingle du jeu d’une affaire moyenne.

Regarder l’homme signifie évaluer le parcours professionnel et personnel du candidat. Un cadre familial est plutôt rassurant. Pour un candidat hors-cadre, on apprécie une expérience significative comme salarié par exemple, surtout si elle se rapproche de son futur métier.

Interagir avec son partenaire bancaire

L’entretien annuel est un moment privilégié de la relation avec son partenaire financier. C’est l’occasion de lui présenter son bilan, d’expliquer le pourquoi et le comment des résultats obtenus. De préparer les financements de l’année à venir nécessitant de nouvelles lignes d’investissement. C’est une démarche professionnelle.

Il faut avoir une relation transparente avec son banquier. S’il y a un problème sanitaire ou technique et que les mois à venir s’annoncent délicats, le bon réflexe est d’anticiper et d’en parler à son conseiller.

Pour moi, la dette aliment n’est pas ce que j’appellerai une dette saine si elle dépasse 30 jours. Une dette bancaire me semble préférable, me parait plus cohérente. Un éleveur qui peine à payer son aliment et qui propose un tour de table renvoie une image sérieuse. Car plus nous intervenons tôt, plus la marge de manœuvre du banquier est importante. Dans sa boîte à outils, il dispose de diverses options : le financement de la trésorerie jusqu’à 35 € par 100 kg carcasse produits ; la modulation des prêts ; l’utilisation d’épargne privée ; le post financement…

Un point extrêmement important est la capacité du candidat à présenter son dossier…

En effet, la personne doit être capable de se présenter et d’expliquer elle-même les éléments financiers et techniques de son projet. Pourquoi elle demande tel financement sur telle durée, pourquoi telle option… Nous convaincre de la pertinence de ses choix. Montrer une capacité à s’auto-analyser et à se poser les bonnes questions sur son atelier est très important à nos yeux.

Pour caricaturer, des bâtiments et du foncier qui se libèrent juste à côté de chez soi et « qu’il faut absolument reprendre », cela ne peut pas être la seule motivation d’un projet. Nous devons sentir une véritable vision d’entrepreneur. Pour un financement global pouvant aller jusqu’au million d’euros, si l’entretien n’est pas bien préparé, les représentants des banques vont considérer qu’il y a un manque de professionnalisme…

Le porteur de projet peut-il tout de même se présenter accompagné ?

Il peut, bien sûr, venir avec un représentant de son centre comptable et / ou de son groupement. Mais il est préférable avant de se positionner sur un affaire précise d’en avoir échangé avec son partenaire financier en amont. Il doit expliciter seul les détails de son dossier, ne pas laisser ses accompagnateurs monopoliser la parole. Ces derniers interviennent plutôt sur des questions très techniques pour montrer que l’investissement et le prix de la reprise sont cohérents.

Face à nous, nous voulons voir un candidat qui nous fasse sentir qu’il est capable de prendre les bonnes décisions, de manager et de motiver ses salariés…Bref qu’il a l’étoffe d’un chef d’exploitation. Dans le cas contraire, il arrive que des dossiers soient refusés alors que tous les voyants financiers sont au vert.

Comment est analysé le potentiel

« Le banquier regarde, par exemple, l’année de construction des bâtiments. Des tableaux permettent de prendre en considération leur vétusté et de les comparer au coût du neuf. Une évaluation par des professionnels du bâtiment est fortement recommandée. Sur le foncier, il est rare qu’il y ait des incohérences. La terre a tendance à sécuriser le projet et c’est un élément sûr pour une banque. On s’assure que les ratios habituels d’élevages de taille similaire sont respectés. Une truie doit correspondre à quatre places de post-sevrage et huit d’engraissement… Ou faudra-t-il mettre en place du façonnage à l’extérieur ? Nous examinons également les contraintes environnementales : bassin versant, atelier soumis au traitement des déjections ou surface épandable disponible, 1 ha par truie pour de la Faf… Pour la main-d’œuvre, la norme est d’environ 1 UTH pour 120-140 truies. Nous évaluons aussi l’encadrement du jeune par son groupement à travers des groupes techniques. Pour du neuf, nous nous basons sur les chiffres des professionnels à savoir 4 500 € par place de maternité, 220 € en post-sevrage et 350 € en engraissement. »

Le conseiller chargé des questions agricoles s’intéresse ensuite au plan de financement…

Il évalue le plan dans le cadre de la reprise et avec une vision des investissements à 4-5 ans. L’ensemble doit être cohérent. En général, il est demandé un apport personnel de 10 % du total. C’est un indicateur. Un engagement financier du groupement constitue aussi un gage de sécurité et de fiabilité pour un banquier, c’est un peu comme si le groupement s’engageait sur les chiffres techniques présentés et sur le suivi du candidat.

Vous dîtes que « G3T et GTE sont la Bible de l’éleveur », c’est aussi un indispensable indicateur pour le banquier.

En porc, la marge se fait par le prix au kilo de viande. Indice de prolificité, indice de consommation, frais annexes, prix de vente moyen constaté sur 12 mois, poids carcasse moyen… À partir des données, nous calculons le point d’équilibre. C’est-à-dire à quel prix l’éleveur parvient à sortir un kilo de porc. Ce point d’équilibre est évalué sur les 5 ans à venir en fonction de l’évolution des annuités, des cotisations MSA… Et en soustrayant la plus-value à ce seuil, nous obtenons un prix au cadran plancher.

Si ce seuil de rupture apparaît élevé, nous cherchons d’où provient la différence par rapport à nos moyennes. Nous en parlons avec le candidat : est-il possible de corriger quelque chose ? Est-ce vraiment la bonne affaire à reprendre ? Le principal enjeu est surtout d’acheter au bon prix. Car de manière générale, si une banque estime que le prix d’acquisition est cohérent pour permettre la réussite technique et économique de l’atelier, elle accompagne le projet.

Propos recueillis par Toma Dagorn

[nextpage title=”« J’adore ce métier »”]
Éric Fraboulet a repris l’exploitation familiale en 2014. Après une année « délicate », il reste « motivé par l’envie de construire un outil cohérent. »

« Au départ, je ne voulais pas reprendre l’exploitation », raconte Éric Fraboulet, 26 ans, qui a suivi une formation en BTS MAI (Mécanisme et automatisme industriel). Une filière industrielle qui l’aurait « poussé à quitter la région et le cadre familial pour trouver un emploi. Alors que, dès que j’avais du temps, je revenais sur l’élevage… » Il a donc aussitôt enchaîné sur un BTS Acse à la Ville-Davy à Quessoy (22) puis une Licence pro Management des entreprises agricoles à l’IUT de Vannes (56). « Une formation avec beaucoup de notions complémentaires du BTS : droit et management des salariés, stratégie d’entreprise pour apprendre à prendre du recul sur son projet… » Un tiers du temps passé à l’école, le reste sur un élevage à Plurien (22) qui menait une restructuration de 2 outils : « J’ai calqué beaucoup de mes choix techniques et de bâtiments sur ce projet. »

Des remplacements pour bien se préparer

Parallèlement, Éric Fraboulet mène une quinzaine de missions de remplacement « dans 15 exploitations différentes » l’été ou pendant les vacances scolaires pour le Sdaec. « Cela m’a ouvert sur d’autres méthodes de travail et permis de réfléchir dans un autre cadre, de prendre du recul. Sur le plan humain, cela forge aussi le caractère car il arrive qu’on rencontre des situations difficiles. Dans certains gros ateliers, j’ai vu également des gens débordés et des restructurations qui manquaient de sens… » De quoi affiner son propre projet qu’il veut basé sur « la qualité de vie et la cohérence pour sortir du résultat ».

Au bout de ce parcours, il reprend finalement les rênes de l’élevage  le 22 avril 2014. « Cette première année a été difficile. Il a fallu mettre un peu de côté ma vie privée pour m’investir au maximum sur l’élevage et mener à bien tous les investissements en soignant la technique afin de capter du résultat. Psychologiquement, ce n’est pas facile sur la durée. »

[caption id=”attachment_2397″ align=”aligncenter” width=”300″]Les cases-balances en maternité améliorent les conditions de travail et la surveillance des mises bas. « Les cases-balances en maternité améliorent les conditions de travail et la surveillance des mises bas. En moyenne, j’ai plus d’un porcelet supplémentaire par portée car il n’y a plus du tout d’écrasés. »[/caption]

1,2 million d’investissement

Le montant global du projet (remise à niveau de l’élevage), sans la reprise de l’outil, s’élève à 1,2 million d’euros. « 100 % empruntés. Le cadre familial est alors probablement un atout pour cautionner de tels investissements. » Le groupement a estimé la valeur patrimoniale de l’atelier, « autour de 450 000 € », en tenant compte de la vétusté des bâtiments. « En la couplant avec l’EBE prévisionnel en rythme de croisière, on obtient la valeur de reprise. Pour ce rachat, il était important que tout soit transparent par rapport à mes sœurs », précise Éric Fraboulet qui apprécie surtout que ses parents aient préparé sa venue « en continuant à faire ce qu’ils ont toujours bien fait jusqu’au bout, sans lever le pied… et en lui accordant des facilités de paiement » dans un contexte chahuté.

Le jeune éleveur tient aussi à remercier au passage la Cidéral, sa Communauté de communes, qui accorde une subvention de 15 000 € aux entrepreneurs locaux qui se lancent. « Cette initiative me sert de rémunération cette année car je prélève très peu pour conserver une certaine capacité d’autofinancement… » Car à l’installation, Éric Fraboulet, « jeune et sans aucun placement comme filet de sécurité », ne prévoyait pas que le contexte économique serait si dégradé : « 1,2 %, c’est mon ratio  résultat sur chiffre d’affaires… Les éleveurs brassent beaucoup d’argent mais très peu reste dans leur poche… » Un résultat qu’Éric Fraboulet a voulu consacrer d’abord en grande partie à rendre son outil « plus compétitif sur le long terme. Car demain, ce sera peut-être plus dur encore. »

Ma restructuration

L’élevage comptait 230 truies en système naisseur-engraisseur à 80 % : 20 % des porcelets étaient vendus en laitons de 7 kg.  À mon arrivée, la station de traitement simplifiée de 2008 est devenue complète suite à l’ajout d’une centrifugeuse fixe pour capter le phosphore. J’ai commencé par cet investissement de 165 000 € car le programme de soutien (50 000 €) allait toucher à sa fin. Lourd à amortir sur 230 truies. Il était donc impératif de sortir plus de charcutiers par an pour répondre aux annuités.

Or un élevage en capacité de résorber ses effluents peut déposer une demande d’agrandissement pour la saturer. Mais je ne voulais pas payer des droits à produire qui perdaient toute valeur quelques mois plus tard à la sortie de la Directive Nitrates 5… Ces 30 000 € auraient été une charge de plus dans une conjoncture négative. Mon dossier était soutenu par mon groupement et la DDTM sur un canton qui avait baissé sa pression azotée. Malheureusement, en CDOA, la profession tiquait. C’était un peu une première : l’Administration pour, la profession contre… Heureusement, le dossier a fini par passer et la Cooperl m’a accordé une aide pour financer l’augmentation de cheptel jusqu’à 280 truies.

Pour produire davantage, il a fallu aussi restructurer l’élevage. J’ai installé 70 places de maternité en cases balances. Le retour sur investissement a été très rapide : 13 porcelets sevrés contre 11,5 avant. L’ancienne maternité a été aménagée en sevrage doublant la capacité de l’atelier. Les choix techniques ont permis de vite progresser. L’indice de consommation a baissé à 2,55.

Prochaine étape : tout engraisser (1 200 pla-ces en plus). Un dossier dans le cadre du PMBE a été déposé pour mettre une ventilation centralisée et éventuellement un laveur d’air.

1,25 € / kg, prix d’équilibre

À l’aise dans ses baskets,  -« j’adore ce métier, améliorer les résultats techniques, entreprendre, avoir une vision à long terme, viser plus haut… »-, le JA a repris « un outil rentable. Dans mon étude prévisionnelle Cooperl, mon prix d’équilibre se situe autour d’1,25 € / kg. Mais pour péréniser l’atelier, il est impératif de tendre vers 1,20 €. » Un prix d’équilibre qui évolue tout le temps : « Je le vois en fonction de l’évolution de la trésorerie au jour le jour… Mais actuellement, même les meilleurs n’équilibrent pas », déplore le Costarmoricain qui rêve de trouver « un rythme de croisière » après 2 ans de perpétuelle évolution.

Toma Dagorn

[nextpage title=”Pas d’installation sans un lien fort au sol”]
Pour la Confédération paysanne, les instances dirigeantes veulent sécuriser les volumes produits, mais pas les éleveurs.

Les élevages qui résistent le mieux à la crise sont les élevages  de 120 à 150 truies qui ont un lien fort au sol. Le foncier apporte une autonomie alimentaire qui permet de baisser le coût de production. Il y a juste un dilemme : comment prôner le lien au sol pour des élevages de plus de 500 truies ? Si ces élevages industriels avaient ce lien, il n’y aurait plus de place pour les autres et pour l’installation. Il faut donc définir des priorités au niveau de la répartition du foncier sinon le prix des terres va s’envoler, pénalisant, là encore, les candidats à l’installation.

[caption id=”attachment_2398″ align=”aligncenter” width=”300″]Henry Daucé de la Confédération Paysanne Henry Daucé de la Confédération Paysanne[/caption]

Une production de masse, non différenciée

Je ne suis pas certain qu’il y ait une réelle volonté d’installer des jeunes. Les instances dirigeantes veulent sécuriser les volumes produits, mais pas les éleveurs. Les élevages sont donc de plus en plus importants et difficiles à reprendre en raison des capitaux à engager. Il faut aussi en finir avec l’esprit de boutique et les querelles d’ego des dirigeants de nos propres structures agricoles. C’est cet égoïsme qui a, par exemple, tué le label sur paille. On se retrouve avec une production de masse, non différenciée, et un système calé sur celui des pays du nord de l’Europe. Dès lors, pourquoi demander aux consommateurs d’acheter de la viande de porc française ? Qu’est-ce qui peut justifier l’achat local quand on a délaissé la production de qualité ?

Installation en bio

Henri Daucé et son épouse étaient associés d’un Gaec à quatre personnes comptant deux élevages convention-nels : 380 000 litres de lait et 70 truies naisseur engraisseur. La partie porc a été transmise à un tiers en 2012. La volonté de transmettre était forte. « Nous avons vendu à un jeune salarié d’un élevage voisin. Son projet consistait à produire en bio avec une soixantaine de truies. Pour préparer son installation, j’ai converti les terres en bio la dernière année de manière à ce qu’il puisse vendre ses charcutiers dans le circuit bio dès les premiers lots ». Tous les animaux de l’ancien élevage ont été vendus pour pouvoir réaliser un vide sanitaire et de repartir avec un élevage assaini. Les bâtiments ont été adaptés à ce type de production (courettes extérieures). Un hectare a été vendu et tout le reste est en location. Le centre de gestion a évalué la structure (évaluation économique).

Il faut imaginer des outils pour éviter la volatilité des prix. Une sorte d’indexation du prix du porc sur celui des céréales. Pour les jeunes, dans les premières années, cette garantie de marge est essentielle. Il faut également que les cédants soient lucides quand ils évaluent leur élevage, lors de la transmission. Elle doit être basée sur la valeur économique. Le jeune doit gagner sa vie.

Bernard Laurent[nextpage title=”Il faudra garantir une partie du Chiffre d’affaires”]

Carole Joliff, responsable de la section porcine de la FDSEA des Côtes d’Armor, déplore le recul des installations. Pour elle, il faut trouver le moyen de garantir.

Dans les Côtes d’Armor, il devrait y avoir 7 installations en production porcine sur 2015 (37 en Bretagne). En 2014, c’était 13 dossiers en lien avec la filière : reprise d’outil ou reprise de part dans une exploitation ayant un atelier porcin.

À ce rythme, on ne renouvelle plus les générations. L’effet conjoncture est là bien sûr, auquel il faut ajouter une communication souvent trop axée sur le mal-être des producteurs. Des enfants d’éleveurs qui avaient envie restent le pied sur le frein devant une situation de l’élevage familial qui n’est pas bonne.

Perte de 250 ateliers/an

Quand l’affaire marche bien, cela encourage la génération suivante à reprendre. Je me suis installée en 2000 à une époque où on ne trouvait pas de structure porcine à reprendre. Aujourd’hui, sur le marché, il y a énormément d’offres ; mais pas un repreneur en face. Nous sommes désormais en décroissance : la zone Uniporc perd 250 ateliers porcins par an. La filière est endettée, noyée dans la volatilité. Il est urgent de retrouver une dynamique qui ne viendra pas des plus anciens qui vivent sur leurs acquis… C’est aussi aux jeunes d’aller plus loin que le bout du quai d’embarquement et de s’investir dans l’organisation du monde porcin de demain.

[caption id=”attachment_2400″ align=”aligncenter” width=”300″]Carole Joliff de la FDSEA Pour Carole Joliff, « Les jeunes devront aller plus loin que le bout du quai d’embarquement et de s’investir dans l’organisation du monde porcin de demain. »[/caption]

Rassurer les financeurs

Car je crois que pour redonner confiance aux jeunes, il faudra revoir le système. Le syndicalisme veut être force de proposition pour voir plus loin et préparer le futur. Comment peut-on installer un jeune sans perspective, sans une certaine visibilité ? On doit leur sécuriser un revenu minimum, ce qui rassurera aussi les partenaires financiers. Système assurantiel comme au Canada ? Contractualisation appuyée sur le coût de production ? Réforme du cadran qui n’est plus un marché correcteur mais la braderie des surplus de cochons ? D’une manière ou d’une autre, il faut à terme qu’une partie du chiffre d’affaires soit garantie.

Et on ne pourra rester cloisonnés dans un seul système d’installation. Par exemple, il y aura de gros élevages à reprendre pour lesquels les cautions des conjoints ou des parents ne suffiront plus comme cela a été le cas pour nous. Les organismes financiers doivent se trouver des garanties, notamment la sécurisation de la marge, via peut-être des partenariats avec l’État…

Réunions d’information

Enfin, les dossiers sont devenus si complexes que les réunions transmission-installation proposées par les Chambres d’agriculture et les FDSEA-JA prennent tout leur sens. Les porteurs de projet peuvent y échanger avec des spécialistes capables de les conseiller : valeur comptable ou valeur réelle de l’atelier, efficacité du travail, bâtiments anciens mais optimisés en termes de main-d’œuvre ou de matériaux… Sans ça, pas facile d’évaluer le bon prix.

Toma Dagorn[nextpage title=”Deux piliers pour s’en sortir”]

Pour le syndicat, peu importe la taille de l’élevage pour tenir face à la crise porcine. La terre et la fabrication d’aliments à la ferme sont deux points clés pour faire pencher la balance auprès des banques lors de l’installation.

Hervé Guillerm est à la tête d’un élevage de 110 truies naisseur-engraisseur, avec FAF intégrale. L’installation de son fils en 2009 lui permet de gérer sereinement son élevage, en étant à cheval sur les résultats techniques. « Tous les cochons sont mesurés avant départ pour être dans le classement. Nous produisons 30,5 porcs par truie et par an », explique l’éleveur. Avec une SAU de 130 ha, le foncier n’est pas un frein à son activité. « J’ai acheté 90 ha dans les années 90, par opportunité. Personne ne misait sur le foncier à cette époque, alors que c’est aujourd’hui une chance », rappelle-t-il. Car pour lui, le foncier et la fabrication à la ferme sont deux piliers pour diriger une exploitation aux reins solides. L’autonomie, principale voie pour faire face à la crise, « en évitant le façonnage pour garder un élevage cohérent », est une des solutions.

[caption id=”attachment_2401″ align=”aligncenter” width=”300″]Hervé Guillerm, installé avec son fils Mathieu. ” Donnez-nous notre part de marge “, pense Hervé Guillerm, installé avec son fils Mathieu.[/caption]

Les banques doivent faire confiance

Pour l’installation d’un jeune, un projet cohérent doit permettre de débloquer des moyens financiers. « Les banques ne doivent pas être frileuses à partir du moment où le dossier est bien pensé, en proposant des prêts à durée plus longue. Attention toutefois à la reprise d’outils trop chers, car quand le jeune a fini de payer son élevage, il est obsolète. Les reprises doivent d’ailleurs être pensées avec des conseillers neutres, hors groupement ». Avec une guerre annoncée sur le prix du foncier, les bases vacillent comme « certaines terres vendues ici 7 000 €. Impossible alors de voir l’avenir sereinement ».

Le prix du porc, nerf de la guerre, doit être proposé à sa juste valeur. « Comment peut-on trouver du cochon de Bretagne en promotion à 1,97 € le kilo avec dans le rayon voisin des croquettes pour chien à 5 € ? Il faut cesser la spirale infernale du prix le plus bas. Une enseigne m’a avoué que lorsque son prix de vente était affiché à 2,30 € face au concurrent à 1,97 €, il passait pour un voleur auprès de ses clients ». Le producteur peut retrouver des marges honorables, sans diminuer le pouvoir d’achat du consommateur. « Sur 100 € de produit alimentaire, la part revenant à l’éleveur ne représente que 7 ou 8 €. Si un prix minimum du porc est fixé à 1,5 €, l’incidence sur les prix affichés en magasin sera nulle. Dans tous les cas, l’Europe désunie socialement ne pourra pas lutter contre le bloc américain. N’oublions pas que le coût de transport à la tonne ne pèse plus : il est le même pour faire venir de la marchandise des États-Unis que pour livrer Paris avec des produits bretons ».

Fanch Paranthoën[nextpage title=”Un recours aux fonds extérieurs encore timide”]

Labeliance, un fonds d’investissement extérieur à l’agriculture, facilite l’installation des jeunes ou les projets de développement. Le monde de l’élevage y a encore peu recours.

Les viticulteurs sont les premiers dans le monde agricole à pousser les portes de Labeliance. Leurs besoins de modernisation sont importants et les montants engagés sont élevés. Les arboriculteurs suivent le chemin. Les éleveurs ont plus de difficultés à faire appel à des financements autres que bancaires. « Le monde de l’élevage est moins familiarisé avec les financements externes », explique Gérald Evin, président de Labeliance.

[caption id=”attachment_2402″ align=”aligncenter” width=”300″]Gérald Even, président de Labeliance. Gérald Even, président de Labeliance.[/caption]

Les contacts se multiplient pourtant. La Cooperl a signé un partenariat lors du dernier Space pour aider l’installation des jeunes éleveurs de porcs. D’autres groupements et coopératives sont actuellement en discussion. Comment financer des installations qui peuvent atteindre 1 à 2 millions d’euros ? « Solliciter le grand public, comme dans le cas des Amap, est illusoire pour de tels montants. Le groupement n’a pas non plus vocation à financer des installations et à détenir des élevages » justifiait Patrice Drillet, président de la Cooperl.

Les Chambres d’agriculture s’engagent

Le réseau des Chambres d’agriculture France (APCA) et Labeliance Invest ont récemment annoncé la création du Groupement d’utilisation de financements agricoles (Gufa) national. L’Apca s’est fixé comme priorité de contribuer à l’amélioration de la performance économique, sociale et environnementale des exploitations agricoles et de leurs filières. Dans un contexte bancaire de plus en plus contraint, le financement par endettement n’est plus la seule solution d’accompagnement de projets d’installation et de développements agricoles. Le Gufa sélectionnera les projets qui seront présentés au comité d’investissement de Labeliance, désignera une structure à même d’accompagner l’exploitant agricole au déploiement du dispositif et suivra le développement de son exploitation pendant 8 ans minimum et 10 ans maximum.

Jusqu’à 400 000 € d’apport

Labeliance propose d’apporter l’équivalent des 10 à 30 % d’autofinancement réclamés par les organismes bancaires (de 50 000 à 400 000 euros). Un apport qui s’inscrit en haut de bilan. Il s’agit donc d’une entrée dans la société. Labeliance est associé, au sens juridique, de la société du jeune éleveur. « Qui reste libre et patron chez lui », reprend Gérald Evin. « Nos partenaires réalisent l’étude économique, compte tenu de leur expertise ». Au bout de 10 ans, le fonds d’investissement sort de la société et l’éleveur rembourse le montant de l’apport à un prix défini à l’avance (autour de 5 % d’intérêt). Le groupement s’engage à suivre la période post-installation, notamment au niveau technique. Il apporte également, via la création d’un Gufa (groupement d’utilisation de financement agricole), l’équivalent d’1 % du montant apporté par le fonds d’investissement. Labeliance prépare actuellement un outil de financement spécifique au foncier, avec la Safer.

Bernard Laurent[nextpage title=”Un outil fonctionnel et durable à moindre coût”]

Au moment de son installation Vincent Gouret ne pensait pas se lancer dans l’élevage de porcs fermiers. Pourtant sur le site repris, il s’est avéré que c’était la production idéale.

En 2010, après avoir travaillé 10 ans comme chauffeur dans une entreprise de travaux agricoles, Vincent Gouret s’associe en Gaec familial en ajoutant une exploitation reprise à proximité de Maroué (22). « J’ai repris cette ferme mixte lait / porc de Landéhen (22) où il n’y avait plus de production. Au moment de la mise aux normes bien-être, j’ai décidé de me limiter dans un premier temps au post-sevrage / engraissement », raconte l’éleveur. Il sollicite alors plusieurs coopératives agricoles afin de trouver l’alternative la plus intéressante possible pour valoriser le cochon sur ce site d’exploitation. « J’ai rencontré Laurent Gauthier, technicien porc Fermier Label Rouge de la coopérative Le Gouessant qui m’a proposé le meilleur compromis. Le porc sur paille était ce qui collait le mieux pour créer un outil de travail fonctionnel et durable à moindre coût. »

Rénover pour respecter le cahier des charges

« Une partie de l’engraissement était déjà sur paille mais nécessitait une importante refonte. Nous avons revu l’organisation des bâtiments et les associés du Gaec ont effectué les rénovations », témoigne Laurent Gauthier, technicien. L’éleveur a acheté les bâtiments pour 100 000 €, puis il a investi 38 000 € en matériaux pour la rénovation. « Nous avons acheté du matériel pour refaire l’isolation, des caillebotis pour le post-sevrage et du béton. » L’objectif de ces rénovations était aussi de rendre les bâtiments conformes au cahier des charges du porc fermier comme la surface minimale par porc et la longueur d’auge suffisante. L’exploitation était équipée d’une machine à soupe qui alimentait un seul bâtiment, elle a été refaite à neuf et reliée à la deuxième porcherie pour un coût de 20 000 €. « On avait l’outil, il fallait s’en servir. De plus, cela cadre avec le cahier des charges car il faut intégrer des céréales à hauteur de 90 % minimum dans l’alimentation des animaux de plus de 12 semaines. »

[caption id=”attachment_2403″ align=”aligncenter” width=”300″]Laurent Gauthier, technicien porc fermier Label Rouge et Vincent Gouret, éleveur. Laurent Gauthier, technicien porc fermier Label Rouge et Vincent Gouret, éleveur.[/caption]

25 à 30 kg d’aliment de plus par porc

L’éleveur est plutôt optimiste : « Même si la situation est compliquée, je ne regrette pas mon installation. Un salarié aussi a des contraintes. L’avantage de notre métier est la liberté, tout en sachant que le travail est à faire tous les jours. » Et le technicien de préciser : « Le porc fermier n’est pas exigeant dans la gestion quotidienne de l’élevage. Il y a des impératifs à des moments précis. » De plus, Vincent Gouret n’a plus la partie naissage à gérer. « Les 160 laitons de 8 kg arrivent toutes les 6 semaines en provenance d’un site de naissage appartenant à la coopérative Le Gouessant », explique Laurent Gauthier. Ce site alimente 12 élevages de tailles différentes avec une génétique Large White x Landrace pour les truies et Duroc x Pietrain NN pour les verrats.

Des plus-values sécurisent la marge brute

Dans cette production sous signe de qualité, le résultat ne vient pas uniquement du volume produit mais de la qualité de chaque porc : il faut donc des éleveurs techniques et très animaliers. Vincent Gouret sort un IC économique de 2,88 et un GMQ de 657g/porc vendu. Le prix de vente MPB est majoré de 0,15 €/kg pour la plus-value technique à laquelle s’ajoute en moyenne 0,27 €/kg de plus-value label. « Le revenu des éleveurs de porc fermier est très impacté par les variations des cours des matières premières car les céréales pèsent pour plus de 90 % de la composition de l’aliment. » De plus, avec un abattage après 182 jours d’âge, et 90 % minimum de céréales dans la ration, il faut compter 25 à 30 kg d’aliment supplémentaire par rapport à un porc conventionnel. Mais le système de plus-values valorisant cette production aide à sécuriser les marges brutes de cette production alternative.

Nicolas Goualan


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